Le thème de l’édition 2017 des Utopiales était le temps. Qui dit temps dit fin des temps et donc apocalypse. Dans la science-fiction, le récit de l’apocalypse a une place toute particulière depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Guerre nucléaire dans les années 50, crise écologique de nos jours : l’apocalypse s’adapte à son contexte historique et aux peurs contemporaines. Face au nombre d’œuvres littéraires ou cinématographiques traitant de l’apocalypse et du post-apocalyptique, nous pouvons nous demander alors si la science-fiction est pessimiste ? Ou tout simplement réaliste face à une fin inéluctable ?
Ce sujet a été traité par plusieurs conférences, tables rondes et courts et longs métrages durant ces cinq jours de festival. Je me suis penchée sur trois tables-rondes : « Le post-apocalyptique : quelle fascination pour les auteurs ? » avec Xavier Mauméjan, Karim Berouka, Olivier Gechter et Olivier Cotte ; « Utopie VS dystopie » avec Emma Newman, Sara Doke, Norman Spinrad et Richard Morgan ; et enfin « Apocalypse tomorrow » avec Christophe Arleston, Alex Jestaire, Ugo Bellagamba et Pierre Bordage. L’occasion était parfaite pour faire un petit tour d’horizon de l’apocalypse dans la science-fiction.
L’abondance d’ouvrages apocalyptiques nous montre la préoccupation de l’Homme pour sa propre fin : une sorte de fascination pour la destruction liée à notre insatisfaction face au monde actuel. Elle nous montre également la culpabilité inhérente à l’apocalypse : que ce soit dans les écrits religieux ou de science-fiction, l’être humain précipite bien souvent sa perte de façon directe ou indirecte, comme par exemple dans l’apocalypse climatique, écologique ou même génétique.
Dans tous les cas, c’est la peur qui mène à la catastrophe : la peur de la mort nous pousse à chercher des solutions dans la technologie avec le transhumanisme par exemple. Or, la mort c’est l’humanisme et aussi la possibilité de renaître. L’humanité a toujours l’espoir qu’une force extérieure peut régler ses problèmes et la sauver : Dieu ou l’intelligence artificielle, par exemple. La science-fiction peut donc être un exutoire : la pléthore de livres traitant l’apocalypse nucléaire dans les années 50 en est l’exemple parfait. Le roman de science-fiction agit alors comme une catharsis : confronter sa peur permet de la surpasser.
L’enjeu pour les auteurs de science-fiction est de toujours trouver une nouvelle façon de détruire le monde, mais qu’elle prenne la forme d’une bombe atomique, d’un virus, d’une pandémie ou d’une intelligence artificielle supérieure, l’apocalypse n’est pour eux qu’un prétexte, qu’un décor pour implanter une histoire et des personnages. L’apocalypse est avant tout un bouleversement de situation propice au récit. La science-fiction n’est pas forcément rationnelle d’un point de vue scientifique, que ce soit les sciences dures ou molles. L’important est de conserver la logique du récit et donc une cohérence interne. Le rôle de la science-fiction est d’abord de raconter des histoires, ensuite peut-être qu’il y a un message sous-jacent mais les auteurs ne sont pas des prophètes.
Ce qui intéresse les écrivains, c’est l’après : l’adaptation des survivants, la re-création ou la renaissance de la civilisation qui permet de tirer les leçons du passé et de comprendre enfin le sens de l’humanité. Le fait de projeter une fin du monde a souvent pour but de voir ce qui reste, de chercher l’essentiel quand tout le superflu a disparu. Quand la société telle qu’on la connaît a disparu, on revient aux origines primitives en quelque sorte. L’apocalypse n’est qu’un artifice narratif pour pouvoir parler du recommencement et de la renaissance.
Pour attirer le lecteur, il faut que cet après se passe mal, d’où la dystopie. Cette absence de société implique l’absence d’ordre et de justice et donc un chaos généralisé et une liberté totale. Mais l’apocalypse quelle qu’elle soit ne peut pas faire complètement table rase du passé : les survivants vivent avec le fantôme du passé. L’univers post-apocalyptique est violent : personne n’a envie de vivre dans Mad Max. Dans la fiction occidentale, la violence est inéluctable et la société peut même tenter de composer avec le chaos, comme dans le film American Nightmare.
L’utopie part du principe qu’après l’apocalypse renaît un monde meilleur : dans le film Apocalypse 2024 de L. Q. Jones ou Zardoz de John Boorman par exemple. Mais dans les deux cas, l’utopie ne marche pas. L’utopie est nécessaire pour laisser la place au rêve, pour se remettre en question et essayer de devenir meilleur. Mais elle décrit des idéaux inaccessibles qui peuvent devenir dangereux : l’utopie est responsable de l’holocauste et du communisme soviétique, par exemple. L’utopie ne peut pas marcher car elle est faite pour des êtres parfaits or l’être humain est loin de l’être.
Pour les auteurs, ce n’est pas intéressant de raconter une société parfaite dont les conflits sont absents. La dystopie prend le contre pied de l’utopie : le monde est sans espoir. Si la dystopie est censée prévenir et mettre en garde, aucune dystopie littéraire n’a jamais empêché quoi que ce soit. Elle est alors dangereuse car elle devient un mode d’emploi pour le futur : certains des auteurs questionnés ont l’impression de vivre dans le roman de George Orwell, 1984, Fahrenheit 421 de Ray Bradbury, Un bonheur insoutenable d’Ira Levin, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Le cercle de Dave Eggers ou encore La fabrique de doute de Paolo Bacigalupi. Ce n’est donc pas un hasard si beaucoup de livres dystopiques sont destinés à la jeunesse. Mais l’écriture de dystopie a évolué : maintenant la fin du monde dystopique s’accompagne d’un peu d’espoir. Toutes les dystopies ont pour message commun l’abus du pouvoir et dans ce sens, la dystopie est plus réelle que l’utopie parce que c’est dans la nature de l’être humain d’abuser du pouvoir.
Justine Vaillant
Actualité littéraire des invités :
Xavier Mauméjan, La société des faux visages
Karim Berrouka, Le club des punks contre l’apocalypse zombie
Olivier Grechter, Evariste
Olivier Cotte, Le lendemain du monde
Emma Newman, Planetfall
Sara Doke, Techno faérie
Norman Spinrad, Police du peuple
Richard Morgan, Carbone modifié
Alex Jestaire, Les contes du soleil noir
Ugo Bellagamba, L’origine des victoires
Pierre Bordage, Hier je vous donnerai de mes nouvelles, Échos dans le Temps et Arkane T1 La désolation
Christophe Arleston, Le souper des maléfices