Les lectures

VNR de Laurent Chalumeau

VNR de Laurent ChalumeauComme son maître Elmore Leonard (1) Laurent Chalumeau affectionne les titres courts, voire monosyllabiques (2). Comme son maître encore, il manie la langue parlée avec une virtuosité inégalée. Comparé à Chalumeau, Audiard, c’est la marquise de Sévigné. Des répliques qui font mouche parce qu’elles se détachent sur un fond ordinaire. Audiard ne s’inspirait pas du parler populaire, c’est le populo qui aimait citer Audiard. Kif kif Coluche. Chalumeau, c’est autre chose : il fait parler et vivre ses personnages comme parlent et vivent aujourd’hui les gens ordinaires qu’on aurait tort de prendre pour des imbéciles. Si vous considérez l’intelligence comme « l’aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation et à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances » (définition du dictionnaire) vous ne pourrez que saluer l’intelligence de tous ces personnages ordinaires confrontés à des situations exceptionnelles mais plausibles.

Après les aventures de Georges Clounet, CRS à la retraite, (Kif) de Patrice Corso, paparazzo en activité (VIP) voici celles d’Alain : « Petit blanc mâle quinqua sans emploi, (et « en fin de droits »), rejeté par ses enfants et quitté par sa femme » (4e de couv’). N’ayant plus rien à perdre, il a décidé de se venger en exécutant les responsables de sa dégringolade sociale et affective. La tâche est ardue, car il n’a pas « pris option serial killer au bac ». Il doit d’abord kidnapper ses victimes, les séquestrer, les interroger – sous la torture (la « question » !) parce qu’il voudrait comprendre : « c’est ça que je me demande : c’est quoi précisément le moment où ça a commencé à merder ? »

Et son enquête démarre comme ça : « Tu dois te demander ce que tu fais là, à poil, menotté au tuyau, du gaffer sur la bouche et un sac sur la tête ? Si ! Forcément. Depuis tout à l’heure, t’es là en boucle : où est-ce que je suis ? C’est qui ce mec ? Pourquoi il m’a enlevé ? Qu’est-ce qu’il me veut, et cetera ? T’angoisses. Tu deviens dingue. » Ainsi commence le long monologue du bourreau, découpé en trois parties (une par victime). Techniquement parlant, on peut évoquer la célèbre Lettre à mon juge de Simenon, et plus récemment l’Article 353 du code pénal de Tanguy Viel, mais avec une différence de taille : le monologue ne s’adresse pas à un magistrat, mais à la future victime d’un crime pas encore commis. Et aucune autre voix ne vient interrompre (même sous la forme d’un dialogue rapporté) le soliloque d’Alain. Une voix gouailleuse que connaissent les lecteurs des romans précédents, une voix unique pour dire en même temps le bonheur enfui et l’horreur économique.

Là est la différence avec les intrigues des romans précédents où les questions sociales (trafics, terrorisme, medias ) servaient de toile de fond à une intrigue policière. A l’inverse, l’intrigue ici est prétexte à un tableau terrifiant de notre société, mais elle comporte suffisamment de rebondissements drolatiques pour que l’on continue de rire… jusqu’à ce dénouement, totalement imprévisible dont s’amuse l’auteur à travers son personnage : « Sérieux, Netflix met ça dans une série, les mecs lacèrent leur canapé, et défenestrent leur décodeur. »

(1) Swag, Switch, Stick, Glitz, Touch. En VF : Plus gros que le ventre ; La joyeuse kidnappée ; Stick, le justicier de Miami ; Le Jeu de la mort, Touch, inédit)

(2) Fuck, Kif, VIP, VNR

Jocelyne Hubert

Laurent Chalumeau, VNR, Grasset, 2018, 17,50 €, 192 p.