Presque tout le monde a entendu parler de l’histoire de l’enlèvement du petit-fils du milliardaire Getty en 1973 à Rome. Les articles, les livres, et en 2017 le film de Ridley Scott Tout l’argent du monde ont contribué à faire connaître cette affaire à ceux qui n’ont pas vécu les années 70. La série Trust apporte une autre regard sur ce kidnapping et mérite d’être vue pour plusieurs raisons.
Danny Boyle réalise plusieurs épisodes et sa maîtrise se fait sentir. Le casting donne toute sa puissance à la série, avec en premier lieu Donald Sutherland en impitoyable homme d’affaires roi du pétrole. Il faut aussi compter sur les autres : Chase (Brendan Fraser), fabuleux homme de main américain paré de ses bottes de cowboy, de son chapeau et de ses phrases bien senties qui sont autant de clins d’oeil à la façon d’envisager le monde par le biais de la culture américaine ; Primo (Luca Marinelli) l’italien cocaïnomane aux dents longues ; Penelope (Anna Chancellor) la favorite de Getty ; Bullimore (Silas Carson) le majordome prisonnier du protocole et des dorures…
Trust place le spectateur au sein d’une famille riche, sous la houlette d’un patriarche dur en affaires et en sentiments. Un fils suicidé, un harem de femmes et une propension à lâcher les chiens sur son jardinier pour le plaisir de rire. Le vieux Getty – dans la vie comme dans la série – est un américain né à Minneapolis, qui achète un superbe manoir de 72 pièces en Angleterre dans les années 50. L’argent et le pouvoir qu’il procure semblent être son seul intérêt et pourtant… n’y-a-t-il pas autre chose ? Une quête de légitimité, de noblesse, comme à travers la construction de son faramineux musée ? Les enfants de Getty, jusqu’à ses belle-filles, concubines et domestiques, subissent à la fois l’attrait et le rejet de ces richesses. Getty a le pouvoir de l’argent et la série le montre très bien. Les classes sociales se côtoient, mais puissance et bonheur ne vont pas ensemble. Personne ne semble vraiment heureux dans l’entourage du milliardaire. Quand le petit-fils de Getty, qui vit une vie de bohème en Italie, est enlevé pour ce qu’il représente, le drame révèle chacun des acteurs et leur caractère profond.
Les femmes sont aussi au coeur de la série. Gail, la mère du jeune Paul, se démène seule face au grand-père intransigeant et au père lâche. Les femmes du harem et celles des mafieux paient les conséquences de la violence. Trust élargit plusieurs fois le cadre et montre comment la mafia calabraise change dans ces années-là et va divesifier ses activités pour devenir la puissante ‘Ndrangheta. La série qui s’étale sur 10 épisodes de 50 minutes environ possède un format proche du romanesque. Elle permet d’explorer en profondeur, à la manière d’un roman, divers aspects et personnages du drame ; elle creuse un sillon quasi sociologique et même si elle s’égare de rares fois dans la répétition de certains effets, elle possède une amplitude intéressante que ne peut pas se permettre la concision du film. Les épisodes font ici figure de chapitres.
La réalisation est assez remarquable, malgré une utilisation parfois abusive de la musique et des flashbacks vintage. Le contexte est rendu par petites touches, notamment avec des images d’époque des manifestations et de la grève des postiers. Certains épisodes embarquent directement dans un autre univers, avec une manière différente de raconter. La scène entre le fils Getty et le fils du mafieux dans une grotte de l’Aspromonte ressemble à un vieux Giallo, entre gothique et érotique. La rencontre du milliardaire et du chef de la mafia rend un bel hommage au western italien. Les hommage au cinéma de genre italien sont discrets mais bien présents. Pour autant, cette stylisation n’est pas permanente.
En 10 épisodes, dont 3 traînent en longueur, Trust réussit une belle présentation des coulisses d’une famille riche, que l’on ne plaint pour autant jamais. L’émotion émerge des personnages secondaires qui apportent un contre point et un éclairage autre.
Caroline de Benedetti et Emeric Cloche
Trust est une série créée par Simon Beaufoy, diffusée depuis mars 2018 sur FX aux Etats-Unis, et mai 2018 en France sur Canal+.