Focus

Equinox à Nantes (1), rencontre

Equinox à Nantes (1), rencontre

Le 1er juin la librairie Durance à Nantes invitait la nouvelle collection Equinox en la personne d’Aurélien Masson, Dominique Manotti et Benoît Philippon, deux auteurs qui représentent dignement le polar et ses composantes : sexe, violence, humour, politique… Caroline de Benedetti animait la rencontre pour Fondu Au Noir, et nous vous en proposons une restitution en plusieurs parties.

Je ne suis pas un marionnettiste, je n’exprime pas mes désirs à travers les auteurs.

J’aimerais qu’on commence en parlant avec vous, Dominique et Benoît, de l’importance qu’à un éditeur, même s’il est à côté de vous aujourd’hui… Au-delà du fait qu’il vende votre livre, quel travail attendez-vous de votre éditeur ? Est-ce que c’est important pour vous ?

Dominique : Pour moi c’est clair – sinon je n’aurais pas changé, je n’aurais pas suivi – l’éditeur a un rôle très important. Je vais essayer d’expliquer concrètement comment ça se passe et pourquoi. C’est très rare de trouver un éditeur qui aide à accoucher le texte. Par exemple sur Racket, au bout de la 2e écriture j’avais un texte qui me plaisait assez mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui clochait. Je n’arrivais pas à déterminer quoi. Ce n’est pas facile quand on est auteur, on n’a pas de recul par rapport à ce qu’on vient d’écrire. Je sentais qu’il y avait une rupture de rythme importante. J’ai donné ce manuscrit en cours d’élaboration à Aurélien. J’avais dans ce livre le personnage de la fliquette, qui est d’origine maghrébine, et cette origine lui pose une série de problèmes. J’avais un chapitre entier consacré à son histoire familiale, à son passé, à la façon dont elle se faisait vider de la police à cause de sa famille. Pour moi c’était important de retracer la totalité de sa trajectoire. J’avais besoin de ça pour bien la sentir et bien la voir. Sauf que dans le récit ce chapitre cassait le rythme de l’histoire. Et ça c’est Aurélien qui me le dit. Il me dit, ça casse le rythme, il faut l’intégrer autrement. J’ai pris une série de morceaux de ses souvenirs, je les ai greffés à plusieurs moments dans l’histoire. C’était difficile parce qu’il a fallu tout réécrire. C’était spectaculaire. Et à moi-même ça m’a appris beaucoup de choses. Je me suis rendue compte par exemple que la scène dans laquelle elle est virée de la DCRI – c’est simplement son souvenir dans un continuum – c’est intéressant, mais pas plus. Mais quand elle se noie dans ce souvenir devant les deux flics avec lesquels elle va continuer à travailler, ça a une autre portée et ça devient beaucoup plus émouvant. Voilà, c’est ce travail qu’on essaie de faire.

Benoît : L’éditeur c’est vraiment l’interlocuteur privilégié sur l’élaboration du texte. On est deux en fait. La problématique c’est que le texte soit bon à l’arrivée. Quand je livre un manuscrit, j’aimerais bien qu’on me dise tout de suite que c’est génial et qu’il n’y a plus rien à bosser. C’est l’intérêt d’avoir un rapport de confiance avec son éditeur, c’est que les retours soient pertinents. Il peut y avoir des points de vue différents sur un texte, mais on construit une histoire à deux, on se connaît, l’éditeur finit par savoir ce qu’on a envie de faire. C’est une grosse relation de confiance.

Aurélien Masson, vous avez donc passé 17 ans à la Série Noire et maintenant vous lancez cette nouvelle collection aux Arènes, « Equinox ». Un lien avec l’astrologie ?

Aurélien : Ça renvoie plutôt à ma jeunesse. Je ne sais pas d’où ça vient. Je l’avais en tête depuis longtemps. Souvent on me dit que ça vient de la trilogie de Sébastien Raizer, L’alignement des équinoxes mais non. Je connaissais ce mot avant, je trouvais que ça claquait, j’aime bien le E, le X. Je vis un peu dans l’esthétique de la musique. Après il a fallu trouver un logo, quelque chose d’identifiable, comme un lieu de rencontre.

Dominique : Moi il m’avait pas dit ça ! Il m’avait dit c’est le milieu, noir-blanc. Il avait raison parce que je n’ai pas la même culture musicale, donc je n’aurais rien compris !

Aurélien : Oui mais c’est un autre thème, une symbolique qui me plaisait. Après dans la vie il faut aussi produire des discours… Mais ce discours du blanc et du noir qui s’égalent, du noir traversé par la blanc – ça reste une collection de romans noirs – c’était aussi ça.

Il n’y a pas le mention polar sur la couverture.

J’aime le roman noir. J’ai du mal avec le terme « polar » que je trouve moche à l’oreille, et j’aime bien que les choses soient dites à voix haute. « Roman noir », je m’inscris totalement dans cette tradition. Notre combat à nous c’est de faire sortir le roman noir des murs du genre stricto sensu, encore une fois c’est un combat un peu don quichottesque mais il faut continuer à le mener. À vaincre sans péril… Moi ça m’a beaucoup touché que ces auteurs me suivent, c’est une marque d’amour. Quitter Gallimard, la Série Noire, ce n’était pas évident, peu l’ont fait. Il suffit de plaquer les chiffres, on est dans un monde économique. Bref, c’est courageux de leur part. Avec la collection on peut mieux faire, c’est le début, ce sera de mieux en mieux. J’ai du mal parfois avec l’idée de la perfection. Je progresse, je donne le mieux de ce que je peux donner à chaque fois.

Comment se passe la rencontre avec Benoît Philippon et son premier roman ? C’est vraiment le hasard ?

C’est au hasard, avec moi tout est au hasard. Le contact se fait, il se fait aussi au hasard. Benoît a passé son manuscrit à une personne qui travaillait chez Gallimard. Le manuscrit était trop tonique pour la blanche et moi j’ai adoré. Je voyais le texte, déjà. Quand je lis un texte, même s’il y a des imperfections, je le vois. C’est dur à expliquer. C’est ce que je dis aux auteurs, j’aime bien voir le livre au début. Je n’aime pas voir le travail en cours. Je peux rien dire sur 50 pages. Si j’ai le début et la fin, j’ai un chemin, une intention, je vois ce que l’auteur veut dire. Le point commun entre Philippon, Manotti, Kermici, y’en a aucun. C’est juste que chaque texte a sa cohérence interne. Tout ça c’est du travail et mon travail c’est de leur montrer que le texte est maléable, je leur propose plein de choses, une fois sur deux c’est à côté. Ce n’est pas l’idée d’être juste, mais de leur dire « regarde tout ce qu’on peut faire ! » Après l’auteur est maître, je ne suis pas un marionnettiste, je n’exprime pas mes désirs à travers les auteurs. Je suis là pour eux. Plus le temps passe, plus c’est ce qui m’intéresse dans l’édition. Ce qui me fait plaisir c’est de voir mes auteurs contents, de les entendre me dire « j’ai une idée ! » voir la machine qui repart. Je trouve ça beau, ça m’aide à vivre.

Tu te vois faire un autre métier ?

Non… Oui ! Des métiers de conseil, de partage. Mais il n’y aurait pas ce sel. Ces gens me montrent que le réel se plie par l’art, ça m’aide à me tenir debout.

(à suivre…)