Remarqué à la sortie de son premier roman, Nicolas Mathieu revient avec une subtile variation de l’univers social qu’il affectionne. Si Aux animaux la guerre était axé sur une fermeture d’usine et le monde des adultes, Leurs enfants après eux met les adolescents au premier plan et la condition ouvrière en toile de fond. Il dessine les trajectoires d’un avenir.
C’est un roman en quatre actes, quatre étapes dans la vie des adolescents et des adultes, de 1992 à 1998 et sa coupe du Monde. C’est un roman à la patine nostalgique, pour ceux nés dans les années 70. On y croise les fringues Waïkiki, le film Subway et Manu Chao. Les pages sentent aussi la nostalgie de l’adolescence et des premières fois, l’étouffement dans un milieu, les envies contrariées : rouler en moto, vivre à Paris, toucher ces peaux dorées au soleil de l’été.
C’est un roman sociologique. Ses personnages suivent des traces dont ils ont rarement conscience.
C’est le roman social des usines fermées et du petit canon au bar après le boulot. Un plan en coupe des différents strates d’une ville.
« Elle s’était mise à bosser, soudain horrifiée à l’idée de rester à Heillage pour mener à son tour une vie peinarde et modérément heureuse. Peut-être que l’illumination était venue en cours de socio, ou en faisant les courses au Leclerc avec sa mère. »
La 4e de couverture évoque le roman d’une époque, et s’il l’est par de nombreux détails, il suffirait de les supprimer pour tomber dans l’intemporel : l’auteur raconte les petites histoires, les ramifications qui lient les gens entre eux. Il n’y a pas de grand drame, juste une sociologie des petites incidences. Ici, tout commence par une fête et le vol de la moto qu’Anthony pique un soir dans le garage familial. Des jeunes d’horizons différents, sur le chemin d’un avenir incertain, des jeunes qu’on pourrait retrouver parmi les précaires du Fast Food de Grégoire Damon, dont nous vous parlerons bientôt.
« Ils seraient déçus, en colère, progressivement émoussés dans leurs ambitions, puis se trouveraient des dérivatifs, comme la constitution d’une cave à vin ou la conversion à une religion orientale. »
Leurs enfants après eux dit aussi l’attachement pour les lieux dans lesquels nous avons grandi, les premiers dans lesquels nous laissons des souvenirs. On y trouve le regard de la jeunesse sur le monde adulte, étrange et lointain, menace d’une vie normée qui fait fuir et dans laquelle on se retrouve pris avant de s’en rendre compte. Et comme l’auteur sait y faire, tout cela se raconte sans misérabilisme ou fatalité, car les interstices laissent toujours la place au bonheur, comme un soir de camping à deux sous la tente.
Caroline de Benedetti
Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Actes Sud, 2018, 432 p., 21,80 €
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