Ce week end se tenait le festival Rochefort Pacifique, qui depuis 2007 est tourné vers l’aire Pacifique à travers la projection de films, et des rencontres avec des artistes. Ingrid Astier était invitée pour son roman La vague, ce qui lui a permis de parler de plusieurs sujets.
L’eau
Ingrid Astier évoque ses débuts d’autrice, les livres de cuisine, et la difficulté de prendre confiance en soi pour écrire des fictions. Interrogée sur le choix de la Polynésie pour son dernier roman elle fait remarquer : « Quai des Enfers était construit autour de la Seine, déjà il y avait l’eau. Pour moi, La Vague, c’était juste changer d’eau, passer de l’eau du fleuve à l’eau des océans. C’est toujours l’eau qui m’aimante, me fascine. J’ai grandi en Bourgogne, près de la Loire, et toute petite j’ai remarqué que la Loire aimantait l’imaginaire. La souffrance humaine et la douleur se sur-impriment à la beauté des paysages. Il faut être à l’écoute des paysages et des gens, sinon on est toujours dans la carte postale. »
Le pouvoir des livres
Deux invitations par Lire en Polynésie, en 2010 et 2015, lui ont fait découvrir ces lieux. Et puis il y a eu le livre de Guillaume Dufau et Tim McKenna Teahupoo, la vague mythique de Tahiti (Au Vent des îles) qui lui a donné l’envie de connaître la presqu’île et la vague. « On peut ouvrir un livre il s’en échappe des mondes.»
Carte postale
La rencontre avec la vague n’a pas eu lieu, ce jour-là elle est restée plate comme une raie. Ingrid Astier s’est promis de revenir, et a planifié un séjour de deux mois. Deux mois a Tahiti, tout le monde imagine des vacances ! Mais c’est un projet et un travail pour lequel il a fallu recueillir des fonds. « Comme si on ne pouvait faire du roman que sur Aubervilliers. Tahiti n’est justement pas qu’une carte postale, c’est injuste de réduire des îles à une vision paradisiaque. Vous connaissez vraiment vous le paradis sur terre ? C’est tellement naïf. Bien sûr que c’est divinement beau. Mais connaître une île, c’est être à l’écoute des gens, de la géologie. » Pour l’autrice, « on n’écrit pas de loin ».
L’imaginaire et le réel
Ingrid Astier insiste sur l’importance de l’imaginaire, du pouvoir d’évasion qu’il offre. « Quand vous bâtissez un roman, pour que l’imaginaire délivre sa force, il faut bétonner. » Le réalisme est là pour servir la fiction. Ses personnages sont nourris des rencontres sur place, comme Baptiste Gossein, un grand windsurfeur français. « La sincérité du personnage vient de la personne réelle. »
Le roman montre aussi une réalité, la drogue et l’alcool, la violence : « C’est comme partout dans le monde, mais le contraste avec la luxuriance des paysages, la beauté de la vague de Teahupoo, devient plus intolérable. » Et comme l’imaginaire s’appuie sur le réel, s’y confronter change aussi des choses. « J’ai été habituée à faire des romans très charpentés. Je suis arrivée en Polynésie avec un plan très défini. Ça a été une grande leçon parce que tout a été balayé par la rencontre avec les polynésiens. J’ai vécu une grande période de désarroi. Je me suis dit « t’as rien compris à la Polynésie. » Parce qu’en fait la langue fait écran. On parle français, mais c’est une illusion, on croit qu’on est rassemblés mais la culture est différente. Rien que le rapport au temps est différent. »
Ingrid Astier raconte alors comment l’écriture est repartie de zéro, à la source, celle de l’humain. Elle livre des anecdotes sur ces échanges, et parle de l’image du surfeur.
Surfeur
Le surfeur qui chevauche les vagues et l’écume a tout du demi-dieu et du cliché. Mais « que devient le demi-dieu une fois revenu à terre » ? En l’abordant sous l’angle de la fragilité, le personnage devient intéressant. Et à Tahiti de nombreux surfeurs souffrent d’être ignorés, au contraire des surfeurs anglo-saxons, sponsorisés, qui ont pris la vedette en venant surfer la vague mythique. L’ouverture de La vague raconte justement l’arrivée d’un américain venu « prendre la vague ». L’occasion de vérifier que cette dernière a un « détecteur d’humilité. » Une anecdote réelle, à lire dans le roman… La Vague.
Propos recueillis par Caroline de Benedetti.