Les romans de David Vann sont marqués par la mort, celle qui touche la famille, celle qui surgit avec violence dans la société. La vie de l’auteur a été marquée par des suicides, dont celui de son père. Avec Un poisson sur la lune, il se met dans les pas de ce père inoubliable.
Le roman raconte la dépression de Jim Vann. Le dentiste en banqueroute quitte son Alaska pour retrouver son frère, rendre visite à ses parents, à ses enfants David et Cheryl, et annoncer qu’il va mettre fin à sa vie.
Le lecteur suit les pensées de cet homme prisonnier d’une souffrance physique et mentale. L’auteur réussit à rendre le tout poétique et drôle, malgré la terrible dureté des propos tenus par Jim. La dépression a fait tomber toute politesse et convenance. L’euphorie l’emporte parfois, mais le plus souvent Jim voit le monde sous son pire aspect. La franchise et la cruauté sortent de sa bouche. Ses proches sont désemparés.
Jim Vann pose sur le monde un regard plein de nostalgie, fantasmant la rudesse d’un Far West qu’il n’a pas connu. C’est un homme jamais à sa place, qui a manqué chaque occasion de bonheur. Toutes les scènes disent cette incapacité.
« Jim-sans-Cul avance d’un pas nonchalant vers la maison comme vers n’importe quel corral. J’ai entendu dire que vous cachiez ma femme ici. Il devrait dire quelque chose comme ça. Laissez-la sortir avant que je réduise cette maison en cendres. »
Quels sont les mécanismes de la dépression ? Qu’est-ce qui fait que des blessures, supportables pour certains, sont insurmontables pour d’autres ? Il n’y a pas de réponse, juste un roman pour tenter de vivre ça de l’intérieur. L’histoire fonctionne comme un suspense, car nul ne sait si Jim va aller au bout de son plan.
De David Vann je n’avais lu que Sukkwan Island. Un poisson sur la lune a bien plus de nuances et de force. Il est porté par une écriture forte, comme lorsque l’auteur s’attarde sur une partie de cartes en famille. Sa mère s’y exprime d’une voix : « complètement défaite comme si les chariots de son convoi de pionniers venaient d’être brûlés et qu’elle contemplait les montagnes dans le lointain, calculant les centaines de kilomètres de teritoire inconnu encore à parcourir. » L’auteur, lui, nous amène sur le territoire de son expérience, une douleur transformée en fiction bouleversante.
Caroline de Benedetti
David Vann, Un poisson sur la lune, 2019, Gallmeister, traduit de l’américain par Laura Derajinski, 288 p., 22,40 €