Rencontre avec Alain Damasio
Une session de courts-métrages ouvre notre première journée aux Utopiales. Puis en fin d’après-midi, après le discours inaugural, la foule reste compacte devant la scène Shayol. Sylvie Lainé interroge Alain Damasio. Les questions habituelles liées à la technologie sont abordées, tout comme celle de la marchandisation. Sylvie Lainé interroge le genre dans lequel s’inscrit Les Furtifs, selon elle totalement un roman de SF du fait de la présence même de ces êtres, les furtifs.
« Je voulais éviter le merveilleux fantastique ».
L’auteur reconnaît avec un brin de provocation être critique par rapport à la fantasy, « pas aussi dense que ce que peut la SF ».
Puis il évoque ses personnages : ceux de La Horde du Contrevent sont comme des héros Grecs. Alain Damasio explique qu’il existe deux modes d’identification pour le lecteur : l’admiration, et l’identification par familiarité. Les Furtifs repose sur des personnages plus communs.
« On écrit toujours pour résoudre le problème qu’on n’a pas résolu dans le roman précédent. » Après cette phrase de l’auteur qui fait écho au travail sur la langue, Sylvie Lainé décide de faire des remarques inconfortables. La première concerne la critique de la technologie, qui est utile à bien des gens, non pas comme gadget mais en tant que véritable accompagnement dans leur vie, parfois pour des raisons de handicap.
Quant à la critique du réseau social, cet ensemble de solitude reliées : ne pourait-on pas faire le même constat pour le livre ? L’auteur estime que ce qui se passe autour du livre n’a rien à voir. Il y a une rencontre, des communautés, un effet de résonnance, autre chose que du réseau à distance.
Troisième remarque : quelle place pour l’écologie dans Les Furtifs, puisque les personnages y respirent bien, mangent correctement et ne sont pas inquiétés de l’état de la planète ? Alain Damasio n’est pas d’accord, pour lui le roman est imprégné d’écologie mais il n’a pas voulu poser des enjeux sur le sujet ni en faire un thème central.
Mais pourquoi 15 ans pour un roman, et pourquoi pas 3 romans publiés de façon plus régulière ? C’est que l’auteur met tout dans un roman, il finit vidé, avec plus rien à dire. Il lui faut par ailleurs nourir un terreau. Autre explication : la production culturelle est pléthorique et monstrueuse, elle désorganise l’accès à la culture.
Vient la question de l’utopie batie dans Les Furtifs, éloge de la fluidité et accès à une forme d’éternité.
« Je ne crois pas tellement à la mort ».
Elle est représentée comme une ligne insécable, une fracture nette, alors que les choses continuent à vivre, par le biais de transformations, par l’esprit des vivants. Enfermer les corps dans des boîtes hermétiques lui semble une aberration totale. « Le vivant est partout. »
La discussion s’achève sur la relation à la mémoire, centrale dans Les Furtifs avec cette question de la trace et du décodage. Le sujet tient à coeur à l’auteur, qui répond avec passion : notre époque essaie de tout numériser, par la photo, par la vidéo, avec du data pour des données inoffensives. Cette mémoire numérique inintéressante s’oppose à une mémoire vivante. Mais la mémoire n’est pas un disque dur, on ne vient pas y piocher, on réinvente le souvenir et cet acte de création est ce qu’il y a de plus intéressant. Bien plus intéressant que de « mémoriser nos vies ridicules ». L’auteur connaît-il Pierre Michon ? En tout cas, après Deleuze voici Nietzsche : l’oubli nous rend disponibles au présent. Une belle conclusion, pour un bel échange.
« Une vision apocalyptique mais sympa », l’affiche des Utopiales 2019 de Mathieu Bablet
Elle est visible partout dans les rue de Nantes, sur les portes des commerces, dans le tramway et bien sûr sur le site internet des Utopiales. Vous n’avez pas pu la rater, magnifique avec ses dominantes profondes bleues et vertes qui attirent le regard. Nous parlons bien sûr de l’affiche des Utopiales 2019 de Mathieu Bablet. Comment a-t-elle été pensée ? Quels détails dissimule-t-elle ? C’est à ces questions, que Mathieu Bablet a répondu lors d’une conférence donnée ce jeudi 31 octobre à 18h sur la scène Shayol. Celui qui a affirmé avoir « flippé à mort » lorsque le comité du festival lui a proposé de dessiner le visuel de cette édition succède à Beb-deum (affiche 2018), Laurent Durieux (affiche 2017) ou encore Denis Bajram (affiche 2016). Les consignes sont les mêmes chaque année : représenter la ville de Nantes et respecter le thème de l’édition.
Loin d’être évident, le thème Coder / Décoder offrait une multitudes d’interprétations de l’évidente ligne de code à la Matrix au choix de Mathieu Bablet, à savoir « décoder le futur de la ville de Nantes » à l’heure de la montée des eaux et de l’urgence alimentaire. Pour créer cette affiche, il y a d’abord eu les recherches documentaires sur l’urbanisation des villes du futur. Et pour Mathieu Bablet, une chose est sûre, elles seront plus vertes, plus « simples », à demi-englouties et s’inscriront dans une logique de décroissance. L’eau est omniprésente sur cette affiche et lui confère un aspect onirique tandis que les tons verts suggèrent l’espoir et la paix. Car apocalypse oui, anxiété et terreur non. Aussi la palette de couleur sert cette vision optimiste tandis que la contre-plongée choisie initialement est écartée au profit d’un angle plus remonté afin d’éviter un effet trop oppressant. Alors que les premiers croquis défilent sur le grand écran, le spectateur peut admirer l’ampleur de ce qui a représenté une semaine et demi de travail pour l’illustrateur. Quadrillages, croquis de grandes masses au crayon bleu puis au crayon à papier, aplats de couleurs etc. Un véritable travail d’enlumineur !
Il en résulte une œuvre au sein de laquelle les détails foisonnent afin de « donner à voir du vivant » jusque dans les aspérités des immeubles et le reflet des semis de riz. On observe la Tour de Bretagne, les bâtiments surélevés, les rizières, le dirigeable (détail anachronique) rappelant l’univers de Jules Verne, les éoliennes matérialisant l’autonomie énergétique etc. Au centre, l’imposant Château des Ducs de Bretagne semble dominer les détails foisonnants, vision quasi-miraculeuse baignant dans une lumière naturelle. Ce plan n’est pas sans rappeler l’île de Laputa du Château dans le ciel d’Hayao Miyazaki, source d’inspiration forte de Mathieu Bablet. À la fin de la conférence, rien ne vaut un détour par l’exposition autour de l’œuvre complète de l’illustrateur qui présente des croquis de ses bandes-dessinées La Belle Mort (2011), Adrastée (tomes 1 et 2, 2013) ou Shangri-La (2016). Un dernier regard sur le tableau des enchères pour son affiche des Utopiales 2019 version très grand format … 600 euros à 19h10 ! Affaire à suivre …
Après cette première journée déjà bien garnie, vos reporters finissent par une soirée bleue au Lieu Unique, en l’honneur de l’exposition Blueman On Tour.
Meï-Li Bellemare
Caroline de Benedetti