Les cavernes d’acier
Le roman éponyme d’Isaac Asimov mêle les codes du polar à ceux de l’anticipation. S’il était l’un des premiers à le faire en 1954, ce n’est plus le seul ! Cette question du mélange des genres est celle sur laquelle se sont penchés Benjamin Fogel (La transparence selon Irina, 2019) , Victor Dixen (Cogito, 2019) et Timothée Le Boucher (Le Patient, 2019) lors de la table ronde animée par Caroline de Benedetti.
Les trois auteurs se sont accordés à dire que la frontière entre les genres était poreuse, malléable et source d’innovation quasi-infinie. En effet, alors que les sous-genres fleurissent de toute part, il s’agit de créer de la mixité afin de faire émerger des formes nouvelles toujours plus prometteuses. Pour ces auteurs, décloisonner le genre permet de mieux exploiter tout le potentiel de l’histoire ; le tout nourrissant toujours un propos global dépassant la hiérarchisation des genres, rappelle Benjamin Fogel.
Les similitudes entre le polar et la science-fiction sont nombreuses et éclairées par les différentes prises de paroles des intervenants. On note notamment la nécessité d’une construction précise, d’une exploration fine des détails dans le but dévoiler une plus grande vérité ; « la grande histoire » dira Timothée Le Boucher.
Les œuvres des auteurs résonnent également entre elles sur un aspect bien particulier : le rôle secondaire voire l’effacement de la figure de l’inspecteur souvent considérée (à tort) comme indissociable du genre du polar. En s’affranchissant de ces codes, les auteurs questionnent d’autres normes, d’autres frontières, d’autres limites à déconstruire, à abattre, à dépasser. L’impact des intelligences artificielles, la dimension politique de l’œuvre, le rôle du lecteur ou encore la question du temps et de la mémoire … autant de sujets captivants qui ont été abordés dans cette table ronde. Le thème Coder/ Décoder de cette édition des Utopiales se révèle décidément passionnant !
Sur la piste des mouchards numériques
Salle archi-comble pour la conférence d’Esther sur les mouchards numériques. Avec humour et de façon ludique, elle démontre au public la traçabilité du smartphone et ce que les applications font de nos données. Nous avons beau savoir, il est impressionnant d’en voir la démonstration, et surtout de réfléchir à une chose : que faire ? Esther pose une question simple : qui a confiance en son smartphone ? A peine 3 ou 4 personnes lèvent la main dans l’assistance. Cela veut aussi dire que nous utilisons cet outil, malgré tout. Quelques pistes sont évoquées : www.blokada.org pour Android. Hacker le marketing, contourner, se questionner : en ai-je besoin ? Qu’est-ce que je maîtrise ?
Cette rencontre est à mettre en lien avec la conférence de Lunar, « Informatique ou liberté ? », qui se tenait le soir. Autre interrogation sur la technologie, à travers la science-fiction et ses représentations.
L’afrofuturisme
Pour la deuxième année consécutive, l’Université Ephémère des Utopiales a ouvert ses portes au Lieu Unique et Michael Roch, auteur et chroniqueur, y donnait un cours sur l’afrofuturisme. Ce mouvement, né en 1859 a été théorisé plus d’un siècle plus tard à la fin du XXe siècle par des figures comme Mark Derry ou Alondra Nelson. Et est donc bien antérieur au Black Panthers !
Il s’agit d’un mouvement, qui, dans sa dimension littéraire, est centré sur des protagonistes noirs ou afro-descendants qui cherchent à s’affranchir de leur condition d’individus oppressés. Au sein de l’intrigue, le passé colonial, le contexte actuel post-colonial et le futur sont interchangeables et se mêlent dans le but de générer une nouvelle temporalité dans laquelle le personnage noir s’émancipe.
Pallier le manque de représentativité des cultures noires et afro-descendantes au sein de l’art en général, construire des modèles manquants en « rééquilibrant » l’offre artistique, discuter de l’injustice, de la moralité, de la condition humaine … c’est ce qu’ambitionne le mouvement afrofuturiste. Originellement pensé à destination d’un public noir, l’afrofuturisme interroge l’universalité des rapports humains et s’inscrit dans une actualité brûlante. Les questions de l’identité, de l’appropriation culturelle ou de la créolité dans le cadre de l’afrofuturisme caribéen alimentent ce mouvement en perpétuelle évolution.
Parmi les auteurs d’afrofuturisme, nous retiendrons notamment Nnedi Okorafor, Sofia Samatar, Ketty Steward et, évidemment, Michael Roch.
Dans la cité des Congrès ce 1er novembre, la foule est dense, les files d’attente sont partout. Un succès indéniable et qui fait plaisir à voir, avec pourtant son revers : difficile d’accéder aux séances de cinéma ou d’aller écouter une rencontre sans avoir anticipé.
Ce vendredi est aussi le jour de la remise du Prix Julia Verlanger, décerné à Tade Thompson pour Les meurtres de Molly Southborne (Le Bélial, traduit par Jean-Daniel Brèque). L’auteur britannique, retenu par son activité professionnel, a dû annuler au dernier moment sa venue aux Utopiales. Il a donc manqué le traditionnel bisou.
Caroline de Benedetti
Meï-Li Bellemare