« À l’été 2012, de vieilles blessures ont été rouvertes en Belgique quand on a su que Michelle Martin, l’ex-femme et complice de Marc Dutroux, serait libérée sur parole. J’essayais de savoir ce qui pouvait se passer dans sa tête » écrit Kristien Hemmerechts en quatrième de couverture du livre.
L’autrice se met dans la peau d’Odette, la femme de M. C’est bien là le métier d’écrivain que de se mettre dans la peau des autres. Après quelques pages, des questions se posent au lecteur. Elles viennent d’elles-mêmes. Qu’est-ce qui nous pousse à lire cela ? Que cherchons-nous dans ces pages ? L’humanité est vaste et la réponse variera selon les lecteurs. Le fait que le livre parle de faits s’étant déroulés « en vrai », et qu’il les évoque de manière semble-t-il assez bien documentée, ajoute au poids de l’histoire.
Avant la fin du XVe siècle les faits divers nous passionnaient et circulaient sous forme d’occasionnels, de grandes feuilles imprimées recto/verso, pliées en quatre. Quel que soit son support littéraire, audio ou sur écran, quel que soient les réprobations éthiques ou morales qui l’accompagnent, le fait divers existe et il semble être là pour longtemps. Il fascine bien souvent à notre corps défendant. Il est un genre de mémoire collective des peurs, le continuateur des mythes et légendes. Il comporte autant de tragédie et de part de mystère que les romans que nous, amatrices et amateurs de polars, affectionnons de lire bien au chaud. A travers ces faits divers se dessinent les problèmes de nos sociétés. Comment ne pas voir en filigrane (sans réduire le livre à cela), à la lecture de Celle qui donnait à manger aux chiens, les ravages de la domination masculine et des rôles traditionnellement assignés aux hommes et aux femmes ? Aussi bien chez M. qui veut être au centre de tout, tout contrôler, et qui réduit les femmes à l’état d’objet ; que chez Odette qui, soumise, se laisse faire et obéit à son mari.
Il ne faut pas oublier à la lecture du livre de Kristien Hemmerechts que c’est Odette qui parle et qu’elle essaye de minimiser son crime, d’abord en le comparant à un autre crime et ensuite en occultant des pans entiers de la tragédie. La question du « monstre », à savoir celle ou celui qui ne fait plus partie de l’Humanité, se pose. Les crimes (non) relatés dans Celle qui donnait à manger aux chiens sont récents. Les protagonistes sont encore vivants. Faire le choix d’écrire ce livre a dû être longuement pesé. En lui donnant une parole fictive (Michele Martin, n’a pas le droit de s’exprimer dans les médias) Kristien Hemmerechts fait son métier d’écrivaine.
Le malaise qui s’installe à la lecture du livre risque de vous hanter encore quelques jours après sa lecture. Ce livre ira rejoindre ceux d’Emmanuel Carrère (L’adversaire), André Gide (La séquestrée de Poitiers), Ivan Jablonka (Laëtitia ou la Fin des hommes) Didier Decoin (Est-ce ainsi que les femmes meurent ?)…
Emeric Cloche
Kristien Hemmerechts, Celle qui donnait à manger aux chiens, traduit par Marie Hooghe, Le Livre de Poche, 2016, 256 p., 7,10 euros