A circonstances exceptionnelles, procédés inhabituels : la chroniqueuse s’efface derrière l’auteur pour présenter l’œuvre .
« Lorsque j’étais enfant, les dîners donnés par mes parents prenaient des proportions d’éternité. Rompant avec les langueurs occasionnées par le liant de la sauce béchamel, je jouais sous la table.
J’avais pris l’habitude savante d’observer les moeurs des chaussures. A six ans, pisteur impénitent, je traquais, je chassais, je piégeais les vernis, les box-calf, les escarpins des convives.
Parfois, à l’heure majestueuse où le café approche, force m’était de troquer mon haleine empestée de coureur des jungles contre l’apparence d’un mioche d’une politesse exquise. Je resurgissais du sous-bois de la nappe pour quelques cuillerées de crème anglaise.
S’il arrivait qu’une grand personne poussât l’indiscrétion jusqu’à s’inquiéter de mon futur, je répondais avec assurance que je serai explorateur. C’est à peu près ce que je suis devenu. Une sorte de guetteur exténuant, s’essayant bravement à piroguer le plus loin possible en amont et en aval de la vie des gens. Je leur partage mon amour, aussi une bonne dose de rage. Mais je m’approche au plus près. J’y mets toute mon âme. Si leur tête ou leur cœur ne suffisent pas à combler ma curiosité, quelle fête ! Je sais qu’il me reste leurs pieds. Et je jure que l’Amazone coule toujours sous la nappe. » J.V.
Qu’est-ce que vous voulez ajouter à ça ? Le nom du dédicataire : Raymond Carver ? De l’illustrateur (couverture) Jacques Tardi ? Tout est dit, vous savez tout de l’homme et de ses accointances, vous avez un petit échantillon de son style. Mais encore ? Le titre est celui de la première nouvelle d’un recueil qui en compte huit. Ce n’est sans doute pas la meilleure. J’ai préféré la seconde : Quelques hourrah et un glaçon et la 7e : Pas de mauvaises nouvelles, j’espère ?. Mais toutes prouvent la maestria d’un formidable conteur, de ceux qui préfèrent aux procédés du SUSPENSE (whodunit) l’art du SUSPENS (what if ?) qui oblige le lecteur à retenir son souffle. Du très grand art, et une langue où se mêlent la tendresse et la rage. La même que dans la Vie Ripolin (1986) et le Cri du peuple. (1999–2001 pour l’adaptation par Tardi).
Jocelyne Hubert