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Autochtones de Maria Galina, ode à l’étrange

Autochtones de Maria Galina, ode à l'étrange

Certaines oeuvres ont le pouvoir de vous emmener dans un monde étrange. Comme par exemple Epépée de Ferenc Karinthy. Ou La rose pourpre du Caire, le film de Woody Allen. Autochtones de Maria Galina a cet effet. Suivre Christophorov, le personnage du roman, demande d’accepter de lâcher prise. Tout ne sera pas compréhensible au lecteur.

Christophorov arrive dans une petite ville à la recherche d’un obscur groupe artistique. Il part en quête comme d’autres cherchent le Rosebud. L’homme croise des habitants plus bizarres les uns que les autres, à l’auberge de jeunesse où il prend une chambre, au restaurant où il finit par avoir ses habitudes. Des autochtones, hostiles, amicaux, énigmatiques.

Autochtones convoque de nombreuses références, artistiques, politiques et littéraires, comme le montrent les notes de bas de page. L’autrice en joue avec intelligence, et sème le trouble chez son lecteur. Fiction ou réalité ? « Ce n’est pas pour rien que les revenants, les tueurs psychopathes et les auteurs de romans policiers aiment autant le théâtre. » Dans une cave, il sera par exemple question de Yog-Sothoth, une créature tout droit venue de l’univers de Lovecraft.

L’ambiance de cette ville jamais nommée semble hors du temps. Pourtant notre héros possède un smartphone, et quand il doit décrire une scène de petit déjeuner c’est à Tom’s diner de Suzanne Vega qu’il pense. De rencontre en rencontre, le chemin pris par Christoporov le mène vers une partition aux pouvoirs mystérieux. Mais plus il avance, moins la vérité semble accessible. « C’est du théâtre », lui répond un des personnages. « Le problème, c’est que tout le monde lit les mêmes auteurs. »

Autochtones peut donc se lire comme un hommage à la littérature et aux légendes. D’autres seront sensibles aux références historiques et politiques. L’écriture de Maria Galina, portée par la traduction de Raphaëlle Pache, se savoure. Si le roman est dense et ardu, la récompense se trouve dans le plaisir offert par ce voyage de l’autre côté du miroir. Résolument original.

Caroline de Benedetti

Maria Galina, Autochtones, Agullo, 2020, traduit du russe par Raphaëlle Pache, 384 p., 21,50 €