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Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein

Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein

Après deux polars parus chez Nouveau Monde Editions, l’auteur français arrive chez Equinox. Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein a une place évidente dans la collection dirigée par Aurélien Masson.

Du polar déjanté. Le dire comme ça, c’est à la fois tout et ne rien dire. L’humour possède tant de gammes… Chacun conviera ses références. Dans une interview pour France Culture à l’occasion de la sortie de son premier roman, Benjamin Dierstein dit : « À douze ans, mon oncle m’a mis entre les mains Lune sanglante de James Ellroy, ça a été pour moi un déclic ». L’influence américaine est évidente. Mais le transpositions, dans cette France des villages et des squatts, perdue entre Leclerc et Darty, a une tonalité toute particulière.

« Les vieux rails, abandonnés depuis la disparition de la gare dans les années soixante, coupaient toujours la ville en deux, avec à l’ouest le centre-ville et les belles maisons, et à l’est la déchetterie, les terrains en friche, les caravanes et le campement des apaches. »

Freddie a grandi dans ce décor, quelque part à deux heures de Nantes. La famille Larochelière y règne, à la tête de la plus grosse entreprise (l’abattoir), à la tête de la mairie, et à la tête de la gendarmerie. Freddie revient sur le terrain de son enfance, l’ex-baqueux est accompagné de son pote Didier, ancien militaire, et de l’enfant kidnappée qu’ils ont sauvée. Les deux héros, semi-enquêteurs, trouveront leur nouvelle mission en fréquentant le bar de Mado. Comme dans tous les villages, c’est là que bien des choses se jouent. L’alcool est une composante essentielle du roman, dont chaque chapitre commence par un proverbe de bistrot (« Mieux vaut le vin d’ici que l’eau de là »).

Outre l’alcool, Freddie et Didier ont une capacité stupéfiante à survivre à tout, de l’ingestion de Mercurochrome aux blessures par flèche et autre poing américain. Mille fois, ce qu’ils subissent devraient les achever, mais la vraisemblance n’a pas grande importance dans ce roman où se croisent des vaches mortes errantes et des loups fantomatiques. L’ambiance vire régulièrement au fantastique, sans oublier le burlesque grâce à une extraordinaire galerie de personnages secondaires. Dans l’attente de la Fête de la plus grande Saucisse, tout le monde semble avoir un grain au village. De cette folie sociale, héritée de l’injustice et de la violence. Le mélange est explosif et réjouissant. Il laisse parfois le lecteur perplexe, dans le meilleur sens du terme.

Un roman barré, donc, mais pas un roman sans direction. Dans cette apocalypse de tripes et de drogues, une population rarement mise en scène se lâche. Elle pue, elle parle mal, elle vote mal. Il ne s’agit pas de la catégorie chômeur gentil ou vaillant travailleur, celle qu’on peut plaindre et aimer un peu. Non. Un dernier ballon pour la route nous met au ras du bitume, au niveau de ceux que certains appellent « cassos ». Du rural, comme on dit. Fond, forme, style : l’auteur coche les trois critères avec sensibilité, avec une cohérence et une dynamique qui fonctionnent. Un coup de coeur.

Caroline de Benedetti

Benjamin Dierstein, Un dernier ballon pour la route, Les Arènes/Equinox, 2021, 20 euros, 416 p.