La patience de l’immortelle de Michèle Pedinielli fait suite à Boccanera et Après les chiens. Le roman s’inscrit dans la biographie fictive de la détective privée Ghulia Boccanera, tout de suite après une enquête menée dans le roman d’un autre écrivain. C’est d’ailleurs là que nous l’avons rencontrée, et que nous avons décidé de faire plus ample connaissance :
« Ghulia Boccanera ressemble à son nom et à sa ville comme une fille à sa mère. Coiffée d’une tignasse brune, coupée au carré qui aurait un peu de mou dans les angles, un sourire mi-narquois mi-appliqué accroché aux lèvres, elle arbore le teint mat des gens élevés au soleil et la silhouette sportive de ceux qui savent en profiter. Un peu plus de trente ans, beaucoup moins de cinquante, mais comment savoir de nos jours. Elle est juste dans le créneau où les femmes en ont assez appris pour ne plus se faire avoir et pas tout à fait assez pour perdre leur audace. Le genre de femme dont la séduction, loin d’être un effet d’annonce, s’accroît au fur et à mesure qu’on les regarde. » (Patrick Raynal, L’âge de la guerre)
Les deux premières enquêtes avaient Nice pour cadre. Celle-ci se déroule en Corse, où Ghulia Boccanera, dite Diou, « parce que personne ne peut prononcer le ghj correctement sauf les Corses » (Patrick Raynal, op. cité), a passé son enfance et où elle n’a pas remis les pieds depuis très longtemps.
Elle a hésité à accepter cette enquête parce que peu tentée par un retour à la nature. « Me sortir d’une ville pour me projeter dans la cambrousse, c’est difficile. C’est comme ça. Les sous-bois, l’odeur des champignons, les oiseaux qu’on devine dans les branchages, bof. Ça ne déclenche que la certitude que je vais avoir froid et me perdre, tout ça en même temps et parfois assez rapidement. Attention, je suis capable de frémir devant un brin d’herbe vert tendre […] Mais il faut juste qu’un auteur américain me souffle ce brin d’herbe […] Pour m’émouvoir, il faut donc passer par la puissance de l’écrivain et par la fidélité de son traducteur. Avec moi, la nature a besoin de quelques filtres littéraires. » Mais c’est Joseph Santucci, son ex-amant, commandant de la PJ de Nice, qui le lui a demandé : sa nièce Letizia Paoli, journaliste, a été assassinée et il ne peut mener l’enquête lui-même.
La Corse, donc, vue par une enfant du pays qui s’en est éloignée. Des insulaires, perdus de vue depuis longtemps, vaguement familiers. On redoute l’accumulation de stéréotypes : paysages de carte postale (« la plus belle île du monde ») portraits pittoresques de chasseurs et de terroristes, nostalgie de l’enfance… Inquiétude vaine, grâce au talent de Michèle Pedinielli. En confiant la narration à son héroïne – qui a besoin de filtres littéraires pour accéder aux beautés de la nature – elle évite l’effet carte postale et privilégie les perceptions et sentiments d’un personnage à la fois rationnel et sensuel, doté d’un solide sens de l’humour. Humour manifeste jusque dans les scènes les plus intimistes. Sans oublier un engagement politique perceptible dans les comportements et les dialogues, plutôt que dans des digressions didactiques (voir l’entretien avec l’auteure dans L’Indic n°43).
Une fois l’énigme criminelle résolue, le mystère du titre demeure : pourquoi l’immortelle, plutôt que d’autres plantes de maquis ? Parce qu’elle symbolise la permanence des regrets, et l’immortalité du sentiment amoureux ? Parce qu’elle possède des vertus médicinales, antalgiques et cicatrisantes ? Cette Diou, bien à l’aise dans ses Docs Martens, qui ne boit ni ne fume (mais baise allégrement) ne peut dormir sans somnifères et elle a oublié les siens sur le continent. D’où viennent donc ces cauchemars qui lui font redouter le sommeil ? Un retour en arrière s’impose, il nous faut lire Boccanera et Après les chiens.
Jocelyne Hubert
Michèle Pedinielli, La patience de l’immortelle, éditions de L’Aube, 2021, 17,90 euros, 224 p.
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