Le titre original annonce le genre : country noir. La disparition du critère criminel dans la traduction (The killing hills) pourrait signaler que l’important n’est pas la résolution d’un meurtre mais le milieu où se déroule l’enquête – ce qui est souvent le cas dans le roman noir rural. Depuis dix ans, les succès de Daniel Woodrell, Ron Rash, Chris Offutt ont familiarisé le lecteur français avec ce genre (et engendré des émules dans l’Hexagone).
Le country noir sort littéralement des sentiers battus, par ses paysages et l’usage qu’en font ses personnages, différents seulement en apparence du reste de l’humanité. Ils ont les mêmes motivations : désirs, appât du gain, vengeance, et les mêmes qualités intellectuelles : « les gens des collines apprenaient tôt à ne pas montrer à quel point ils étaient futés ». Ces collines sont celles du Kentucky, sur le flanc est des Appalaches. Les gens qui y vivent semblent tous appartenir à la même famille et obéir aux mêmes lois de savoir vivre (quel que soit leur sexe ou leur âge) comme de n’ouvrir sa porte qu’après s’être muni d’un fusil.
L’attrait principal des Gens des collines de Chris Offutt est dans la peinture de ces gens, remarquablement personnalisés, vus par l’un d’eux : Mick Haring, vétéran d’Irak et d’Afghanistan, devenu enquêteur militaire en Allemagne. Il est de retour au pays natal pour une permission exceptionnelle : sa femme est sur le point d’accoucher… Et ne veut plus de lui ! Il essaie alors d’oublier dans une cuite sans fin le naufrage de son mariage. Sa sœur Linda, première femme-shérif du comté, peu expérimentée, sollicite son aide pour une affaire de meurtre. Leur premier échange donne le ton :
-Qu’est ce que tu veux, dit-il ?
-Oh ! dit Linda je viens voir comment tu t’en sors question hygiène. Je vois que tu fais bien ta toilette. Un bain d’insectes comme disait Papaw. Comment tu vas ?
-Comme si on m’avait chié dessus après m’avoir loupé au fusil.
-Au moins t’as la tête propre !
L’originalité du roman ne tient pas seulement à l’humour présent autant dans le récit que dans les dialogues : « Tous les enfants apprenaient les mots « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé », un message fort et généreux qui ne prévoyait pas de calendrier spécifique. Dans les collines il était plus pratique de pardonner les offenseurs après les avoir tués. » Le plus surprenant est l’absence de ces interminables pages de descriptions lyriques… dispensables.
Ici, la nature est omniprésente, mais en quelque sorte naturellement : la faune et la flore font partie du paysage au même titre que les humains, saisis dans leurs interactions, tel ce paisible « chasseur » de ginseng, prêt à attendre… un an peut-être, que la plante qu’il vient de débusquer soit prête à être cueillie.
Jocelyne Hubert
Chris OFFUTT, Les gens des collines, Gallmeister, 2022, traduit de l’américain par Anatole-Pons-Reumaux, 240 p., 22,50 euros.