Myriam, Lilith, Mirkhal et la Sorcière d’Endor. Vous connaissez ces noms ? Ce sont ceux de quatre femmes importantes de l’Ancien Testament. Elles sont les égéries de quatre femmes juives qui, en Israël, ont fait un pacte durant leurs années universitaires, celui de ne jamais avoir d’enfant. Ja-mais.
« Je m’évertue à imaginer des sujets de conversation pour paraître à mon avantage – voyons ma fille, tu as dépassé ce stade -, je visualise même l’endroit où je serai assise (la tête légèrement penchée, mes cheveux ramenés sur l’épaule dans une posture séductrice) quand je lui crierai « c’est ouvert ! » et qu’il franchira le seuil. Même si au fond de moi, je sais que tout se joue dès le premier bonjour. »
Spécialistes de la Bible, dans une société où la religion est très présente, ces femmes vont être confrontées à leurs choix. Pour beaucoup de religieux (mais pas que…) procréer est un devoir. Le drame du passé se mêle à celui du présent, se dévoilant au gré des informations distillées par la narratrice. Sheila tente de tout analyser, de tout calculer. Elle est esclave du regard des autres, du visionnage de vidéos YouTube, de la lecture de magazines, et vit en représentation permanente. « Les hommes à qui une jolie femme avait servi du café chaud la trouvaient plus sexy que ceux à qui elle avait offert une boisson froide. » Sheila est sans cesse ramenée à sa condition de femme. Pourtant, elle tente de ne pas jouer le rôle que la société lui attribue : objet de désir dans sa jeunesse, puis mère.
La narratrice convoque Hercule Poirot et Miss Marple pour s’inspirer de leurs méthodes. Filles de Lilith tient du roman d’enquête avec ses fausses pistes, et la possibilité de trouver le coupable avant la fin. Le livre penche aussi du côté « serial killer », en respectant les règles du thriller mais sans en perpétrer les clichés de manière trop évidente. Sarah Blau propose un polar psychologique, et sociologique, sous l’œil de grandes figures féminines bibliques. Le point de vue de la narratrice est au début faussement naïf, elle se dévoile petit à petit, et devient sarcastique. Il y a dans ces pages du désespoir, du désir, un refus de se résigner, une constante interrogation sur la place de la femme. Enfin, la place que Sheila peut trouver dans le monde. Entre les lignes une réflexion sur l’amour, ce mot fourre-tout, trouvera sa place.
Emeric Cloche
Sarah Blau, Filles de Lilith, Presses de la cité puis Pocket, 2023, traduit par Sylvie Cohen, 7,60 €, 288 p.