Par Caroline de Benedetti
Guillaume Chamanadjian
A Angers, pendant le festival Cultissime, j’animais une rencontre autour de Monte-Cristo, à laquelle participait Guillaume Chamanadjian, co-auteur de la double trilogie La tour de garde. Je me suis souvenue d’un article dans L’Humanité où il mentionne son goût pour le jeu de rôle. Ce n’était pas vraiment le sujet de Monte-Cristo, alors ni une ni deux, je prends rendez-vous le lendemain pour qu’on en discute.
Guillaume, comment le jeu de rôle est arrivé jusqu’à toi ? Qui a fait le passeur, ou la passeuse ?
C’est mon grand frère, qui jouait à Star Wars au collège. Je pense que c’est le premier jeu de rôle que j’ai fait. Quand je suis arrivé moi-même au collège, en 6e, ça a été une évidence de me dire que je pouvais faire ça avec mes amis à l’heure du déjeuner. Après, j’ai continué avec les livres dont vous êtes le héros, la découverte des univers de Donjons & Dragons…
Ça t’a décidé à faire jouer ?
Je pense que j’aimais déjà bien raconter des histoires. J’avais des livres pour me faire raconter des histoires, et le jeu de rôle lui me permettait d’en raconter aux autres. Et il faut dire que mon collège était dans une ville, Aix-en-Provence, où à l’époque au début des années 90, deux boutiques de jeu de rôle se faisaient face. Comme j’avais un bus toutes les heures pour rentrer chez moi, quand je ratais le bus, j’avais une heure à tuer, et j’allais dans ces boutiques.
Tu as donc écrit des scénarios. Aujourd’hui tu écris de la fiction, ton nouveau roman sort ce mois-ci. Est-ce qu’il y a un lien entre le fait de développer un monde dans le jeu de rôle, et le fait d’écrire de la fiction. Est-ce que ça t’a aidé, ou est-ce qu’il y a des pièges ?
Chacun a un rapport différent au jeu de rôle et à l’écriture. Le lien ne va pas être le même pour chaque auteur. Moi, j’y vois un lien effectivement.
J’ai beaucoup joué quand j’étais ado, pré-ado, et puis j’ai arrêté au moment de mes études supérieures. Je m’y suis remis à la fin de mes études. On était plusieurs, dans ma formation, à être amateurs de jeu de rôle. On a constitué un groupe de 6-7 joueurs, et ce groupe c’est celui que j’ai gardé pendant plus de dix ans. Tour à tour, l’un de nous masterisait sur un jeu. On changeait de jeu, de maître du jeu. Et il se trouve qu’il y avait un de ces joueurs qui regardait les scénarios sur internet. Il trichait un peu, ou alors il les connaissait déjà parce qu’il avait une culture importante du jeu de rôle. En tout cas, il y a eu ce moment où j’ai dû écrire mes propres scénarios. On a joué notamment aux Secrets de la septième mer pendant plus de deux ans. Et je m’étais lancé un défi un peu bête. J’écrivais une campagne complète en la faisant jouer au fur et à mesure. Toutes les deux sessions, je laissais un choix de continuité à mes joueurs en leur disant : vous voulez plutôt choisir cette piste, aller ici, ou suivre cette piste, et aller là ? C’était un peu mis en scène, mais c’était ça le principe. En fonction de ce qu’ils décidaient, j’écrivais la suite dans la semaine qui suivait. C’était un exercice assez intense. Et puis est arrivé ce qui arrive dans la vie de beaucoup, les amis ont déménagé, fait des enfants, et n’ont plus eu le temps.
Avec Claire Duvivier, co-autrice sur La tour de garde, on s’est retrouvés un peu seuls et c’est là où on s’est lancés dans l’écriture.
Et pour répondre à ta question, pour moi c’était une continuité logique. Il y avait des différences nettes, on a moins de retour face à son écran que face à une table de joueurs. Mais cet exercice d’écriture de roman, je l’ai abordé comme une table de jeu, en me disant qu’il fallait qu’à tout moment quelque chose puisse mal se passer, que l’histoire puisse partir en vrille comme si un coup de dé avait raté, ou comme si un joueur était luné bizarrement ce jour-là. Même moi en tant qu’écrivain je n’ai pas la connaissance de tout ce qui va se passer. C’était stimulant pour continuer à écrire et me mettre devant mon clavier.
Dans tous les cas, l’écrivain se trouve dans la position où le lecteur n’a pas le choix de ce qui va arriver. Ça signifie aussi une préparation plus précise et minutieuse, alors que pour le maître de jeu il y a une part d’improvisation qui reste importante. C’est un autre exercice.
On sait que dans les années 80 et 90 l’image du jeu de rôle, du fait de la représentation médiatique, n’était pas terrible. Pendant un temps, bien des gens n’osaient pas dire qu’ils étaient joueurs. Aujourd’hui ce sont les 50 ans du jeu de rôle, les choses ont bien changé. Tu as vu ce changement ?
Je l’ai même vu dans mon travail. Je travaillais pour un éditeur qui faisait des livres-jeux, avec des quizz, des livres apéro. C’était mon jardin secret, le jeu de rôle. Et du jour au lendemain, avant Stranger Things, l’éditrice qui suivait la série Big Bang Theory, s’est dit « le jeu de rôle c’est le truc de demain, il faut qu’on en fasse ». Elle s’est rapprochée de moi en me demandant si je connaissais des gens qui jouaient. Alors comment dire… oui ! Je me suis rendu compte que dans ces milieux de l’industrie culturelle, le jeu de rôle était devenu cool.
C’est quoi, tes univers de prédilection ?
Je suis assez revenu de Donjons & Dragons, et de tout ce qui est médiéval-fantastique, très anglo-saxon et surtout très américain. Je dis ça, mais mon éditeur lui est toujours un joueur de Donjons & Dragons et ça le fait bondir, il me dit « mais non, c’est beaucoup plus riche que ce tu penses ».
Tu parles de David ?
Oui, David Meulemans.
Alors mon jeu de rôle préféré c’est Les secrets de la septième mer, c’est là que j’ai maîtrisé pendant plus de deux ans. Je trouve que c’est un jeu avec lequel je prends un plaisir immense. Dans les caractéristiques de base il y a le panache. Je trouve ça extraordinaire. Enfin, il y a la force, la dextérité et le panache. Ça donne vraiment une ambiance particulière. Les joueurs sont des héros, il y a un côté très dumasien, de cape et d’épée, avec les joueurs qui se suspendent au lustre, et un peu de magie parce que ça reste du jeu de rôle. C’est un univers qui me convient bien. Même avec des joueurs débutants, on peut faire comprendre des choses. C’est très historique, ça ressemble à l’Europe du 16e 17e siècle. Ce sont des univers qu’ils connaissent, ils n’ont pas besoin de savoir ce que c’est un elfe, un halfelin. Mon univers de prédilection, c’est quand il se rapproche du monde réel pour faire une bascule très rapide.
Tu joues encore ?
Aujourd’hui je ne joue plus. Quand ce groupe a éclaté il y a 4-5 ans, on s’est dit « à quoi bon ? » On avait un groupe chouette, ultra soudé, on était en adéquation sur tout. Je n’ai quasiment pas rejoué depuis. Une petite partie de Cthulhu de temps en temps parce que ça s’improvise très vite. On a essayé de se faire une campagne par écran interposé, mais je trouve que ça fonctionne moins bien. Je reste attaché à la table et aux interactions qui ne sont pas les mêmes. Ça induit aussi une autre manière de jouer, on peut avoir une documentation, des cartes, le livre des règles… mais c’est moins mon truc. Je préfère le côté improvisation. Je trouve qu’il fonctionne mieux quand il y a des interactions spontanées. Et puis ma vie d’auteur me prend pas mal de temps et d’énergie.
Et aujourd’hui tu te verrais plutôt jouer ou masteriser ?
Ma dernière expérience c’était ces deux années où j’ai masterisé toutes les semaines, alors je jouerais bien, un peu !
En interview, il y a ce moment où on éteint l’enregistrement. On se remercie, et souvent la discussion repart et on se mord les doigts d’avoir coupé le micro… Bref, là, Guillaume évoque les compétences orales acquises grâce au jeu de rôle. « Animer une table c’est comme animer une réunion. » Je note la phrase, qui pourrait donner matière à un autre entretien. Une prochaine fois…