La couverture et le titre déclenchent un imaginaire plutôt américain, des années 70, entre horreur (merci Amityville), fait divers et ésotérisme. La maison du diable de John Darnielle utilise tout ça. En nous vendant un true crime, pour aboutir à un texte hybride totalement original.
« Gamin, j’étais doué pour raconter des histoires. Ce qui s’est transformé en habitude. » Gage Chandler, le narrateur, revient sur des affaires criminelles survenues dans sa région. Il en tire des livres qui lui apportent le succès. Son éditeur l’oriente vers un meurtre brutal, intervenu en 1986 dans une boutique porno désaffectée. Gage achète la maison et s’y installe pour se mettre dans l’ambiance.
Le premier récit plante le cadre de ce fait divers. Il livre astucieusement plusieurs éléments de compréhension, mais pas tout. Car il s’achève sur une phrase : « il est désormais temps pour moi de raconter l’histoire pour laquelle j’ai été envoyé ici. Je n’ai pas envie de le faire et je ne vais pas le faire. » Le deuxième texte (il y en a sept en tout), La sorcière blanche, est le true crime qui a fait connaître Gage Chandler. John Darnielle joue donc à plusieurs niveaux. Mais les signes sont clairs : il nous raconte une histoire, et il nous parle d’écriture.
L’écriture de l’auteur agit comme un sortilège. Digressive, fourmillant de détails, elle parle entre les lignes. Elle surprend. Darnielle fait revivre son enfance et celle de l’Amérique des comics et des histoires de monstres, de l’arrivée de la télévision, de l’essor des villes. Ses personnages sont des adolescents avant leur entrée à l’université et dans l’âge adulte. Ils connaissent la solitude, l’amitié, la maltraitance. Confronté à la violence de la société, chacun fait ce qu’il peut pour s’en prémunir. « On lisait sur leur visage qu’un château dans lequel on trouve refuge, fut-il la pire construction de tout le pays, est le foyer de ceux qu’il protège du danger. »
Toute l’histoire se situe en Californie du Nord, dans ces petites agglomérations où on trouvait « des collines et des chemins de terre ». L’auteur les plante avec habileté : appartement ou maison n’ont rien d’incroyable mais le deviennent par son sens du détail. Une cuisine apparaît à travers tous les objets et leur signification pour la victime. Une scène de crime devient un croisement entre l’horreur et l’art contemporain. La géographie des intérieurs et des extérieurs est une archéologie de l’intime. Car les lieux de l’enfance comptent autant que les lieux du crime. « On ne devrait revoir ces endroits qu’après avoir tout bien calculé : que sommes-nous prêts à échanger contre une claire vision des choses ? »
La maison du Diable aurait pu s’intituler « la doctrine du château », principe évoqué par un des personnages. Mais l’auteur ne valide pas le concept de propriété privée. Il pousse au questionnement sur ce que provoquent les attaques contre ce qui fonde le plus profondément notre personne. C’est malin comme le diable.
Amateurs de musique et de jeu : John Darnielle a fondé The Mountain Goats, et c’est un fan de Magic. Il a designé 10 cartes à la demande de Wizards of the Coast.
Un autre article sur ce roman : lire chez Playlist Society.
Caroline de Benedetti
John Darnielle, La maison du Diable, éditions Le Gospel, 2024, traduit de l’américain par Janique Jouin- de Laurens, 480 p., 23 €