Les lectures

Roadmaster de Stephen King

Roadmaster de Stephen King est un objet irrationnel. Une voiture qui ne devrait pas être. Un roman fantastique dans la définition qu’en donne Tzvetan Todorov dans Introduction à la littérature fantastique son ouvrage de 1970.

On pardonnera aisément à King d’étirer son histoire. C’est sa technique pour renforcer ses effets, qu’ils soient horrifiques ou fantastiques. Il faut parfois patienter quelques pages avant d’avoir ce que l’on est venu chercher en prenant ce bouquin. Ses longueurs ne sont pas une torture, loin de là, et ses digressions sont fort plaisantes.

King sait évoquer le passé grâce à des éléments culturels partagés par un grand nombre de personnes biberonnées à la culture de masse américaine. La Buick, bien-sûr, ne serait-ce que par le cinéma et la chanson de Bob Dylan (en VO Roadmaster s’appelle From a Buick 8 en référence à la chanson From a Buick 6 qui est d’ailleurs citée dans le roman). Le roman fourmille de détails, de références à la culture populaire glissées ça et là. Combien sommes nous a avoir été terrifiés par un épisode de Star Trek (et celui avec les Tribbles n’est pas des moindres).

Et puis il y a l’épouvante… parce que c’est aussi pour cela qu’on lit King. Ici elle avance petit à petit, l’air de rien, pour éclater au grand jour lors d’une scène d’autopsie. King peut, en une ou deux pages, vous mettre des images en tête. Elles resteront gravées et deviendront un de vos souvenirs, de ceux que l’on peut raviver pour parler d’un sujet ou tout simplement se réchauffer, rêver un peu ou relativiser ce qui nous arrive. N’est-ce pas aussi pour cela qu’on lit de l’épouvante et du fantastique, pour se préparer au pire en le côtoyant à moindre frais ?

« Curt et Tony passèrent un après-midi à explorer les piles de manuels d’anthologie de l’université Horlicks, et ils n’y trouvèrent rien qui ressemblait de près ou de loin à ces insectes. A vrai dire, le vert de leur carapace ne ressemblait à aucun vert connu des hommes de la compagnie D, quoi qu’ils eussent bien été en peine d’expliquer en quoi résidait au juste la différence entre cette couleur et les autres verts. Carl Bundage lui donna le sobriquet de « Vert mal-de-crâne » car, expliqua-t-il, les migraines dont il lui arrivait de souffrir étaient exactement de cette couleur-là. »

Une dernière chose. Roadmaster est un méchant King. Pas un méchant King à la façon de Cujo. Mais un méchant King sur une des thématiques chères à la science-fiction : l’autre, l’altérité. Un King qui vous donnera envie de lire les Lettres persanes de Montesquieu. Vous voilà prévenu.

Emeric Cloche