Les Utopiales c’est l’occasion de faire le plein de rencontres, de débats, de livres, de films, de jeux et de bien d’autres choses encore. La densité du programme oblige le visiteur à une rude gestion de son temps. Nous nous arrêterons ici sur un débat ayant pour intitulé : « frontières et migrations, ces lignes imaginaires qui découpent le réel ». Natacha Vas-Deyres a brillamment mené la discussion entre Norman Spinrad, Alain Damasio et Catherine Dufour.
Les 3 invités s’entendent pour dire que la frontière est un interface entre deux cultures. Norman Spinrad rapporte une discussion avec Timothy Leary, où celui-ci lui a fait part d’une théorie : quand les américains n’ont pas pu aller plus à l’Ouest dans leur conquête, et qu’ils ont atteint l’océan, ils sont allés vers le haut et ont commencé à s’intéresser à la conquête de l’espace.
De l’avis des trois auteurs, la frontière doit être une possibilité de découverte, mais en aucun cas de conquête ou de colonisation. Cette préoccupation se ressent particulièrement chez Alain Damasio. Selon lui, il faut se mettre sur une frontière avec l’autre, et pour l’occasion il emprunte le mot de Norbert Merjagnan : l’altérieur. La science-fiction doit explorer cet « altérieur ».
Catherine Dufour précise que pour elle, les frontières ne devraient pas exister. Malheureusement, une grande partie de la littérature, du cinéma ou des jeux vidéos est basée sur la mécanique de la peur de l’autre, l’ennemi qu’il faut tuer (Star Wars, les zombies, Le seigneur des anneaux…). La partie intéressante de la science-fiction est celle qui fait état de la fascination pour l’autre, du souci de bien l’accueillir. C’est un clivage fondamental dans les choix de récit. Alain Damasio explique qu’il y a un problème de maturité dans les jeux vidéo, qui tracent deux mondes dont un doit disparaître, ce qui est le niveau zéro du rapport à l’autre. Beaucoup d’univers de science-fiction sont malheureusement basés sur cette opposition. Pour lui l’intérêt de la science-fiction est la logique du devenir tel que posée par Gilles Deleuze. Il faut interroger l’empathie, à l’image des histoires où le robot devient humain. Ecrire, c’est créer du conflit, du manichéisme et de l’opposition, mais dans ce combat des imaginaires il faut s’ouvrir à l’autre, s’influencer mutuellement. C’est l’enjeu politique du récit.
La frontière s’incarne aujourd’hui dans la création de zones, comme les zones de vacances sécurisées pour riches, que Catherine Dufour raconte avoir vues en Hongrie, ou comme Calais et tous ces systèmes de concentration aux frontières. Celui qui se protège est celui qui construit le mur, et le fait de façon unilatérale. Alain Damasio se demande comment mettre ces éléments en récit pour créer un choc des consciences. Norman Spinrad conseille la lecture d’un roman visionnaire de Wolfgang Jeschke dont il a oublié le titre… vérification faite, il semble qu’il ne soit pas traduit en français ni en anglais.
Catherine Dufour répond à la question du « pourquoi ne sommes-nous pas capable de régler ces problèmes ? » en rappelant qu’1% possède 80%. Ces possédants ont le pouvoir, les pétrodollars, les narcodollars… et ne veulent absolument pas régler les problèmes ; ils ont tout intérêt à ce qu’ils perdurent. (applaudissements dans la salle).
La rencontre se termine avec des questions et remarques du public. Une personne pointe du doigt le fait que l’époque marque le triomphe de la propriété privée sur la propriété collective. Norman Spinrad répond que le communisme a échoué et que nous vivons une période pré-révolutionnaire et qu’un modèle reste à inventer. Un autre intervenant cite l’exemple d’une expérience de psychologie sociale et renvoie à la vidéo « La leçon de discrimination ». L’expérience montre les comportements de l’individu en cas de séparation d’un groupe selon des critères arbitraires. Il termine en mettant tout le monde d’accord : il nous faut comprendre et accepter que le rejet de l’autre fait partie des réactions humaines pour mieux lutter contre.