Par deux fois au festival Toulouse Polars du Sud, j’ai pu croiser la grande silhouette de David Joy et son sourire sympathique. Cette année, je l’ai écouté parler en table ronde avec intérêt. Jusque-là, ses livres ne m’attiraient pas. Cette littérature américaine qui met en avant un État, des déclassés en mobil home et des affaires de drogue, me donne l’impression d’avoir déjà lu l’histoire. Les deux visages du monde de David Joy échappe à ce travers, mais pas à d’autres.
Le titre français est plus frontal et explicatif, moins ample que le titre original : Those we thought we knew. « Ceux que nous pensions connaître », pourrait-on traduire. Dans les montagnes où se situe l’histoire, nul n’existe en-dehors de son nom de famille et de ses ancêtres. Mais dans Caroline du Nord qui porte comme partout le poids du passé et où tout le monde se connaît un nom en dit plus qu’une explication. Se connaître ne veut pas dire se comprendre. La guerre de Sécession a laissé des traces.
« Leah se retrouva à essayer de regarder au-delà des sourires et des rires, de poser son doigt sur quelque chose qu’elle n’avait jamais cru être là. Pour ce qu’elle en savait, les méchants se trouvaient juste ici, parmi eux. »
David Joy s’appuie sur le thème des racines, du racisme, des statues qu’on déboulonne et des polémiques qui en découlent. Quand Toya vient d’Atlanta pour passer l’été chez sa grand-mère, l’étudiante rencontre ses origines et déclenche des évènements dramatiques. Dans cette région, le Ku Klux Klan a muté, mais il est encore à l’œuvre. La situation montre le patriotisme irréfléchi, et les certitudes qui fondent ce que certains nomment identité. Ces croyances agissent comme des impensés. Les remettre en cause peut provoquer des secousses énormes. C’est ce dévoilement que l’auteur américain met en lumière non sans efficacité. Mais la façon appuyée dont il procède nuit à la force de son récit.
« La vérité, inspectrice, c’est qu’il ne faudrait pas qu’un Noir perde la vie pour que vous regardiez enfin la réalité en face, que vous ayez un éclair de lucidité. Et pourtant, encore et toujours, c’est ce que ce monde exige. »
Caroline de Benedetti.
David Joy, Les deux visages du monde, Sonatine, 2024, traduit par Jean-Yves Cotté, 23 €, 432 p.