Loin des fastes et du mythe des mafieux qui vivent dans l’opulence et l’argent, éloigné des voyous modernes et de la violence gratuite faite de courses poursuites et de rafales de sulfateuses, Le Royaume dénote dans le style, et pour cause. Le Royaume se passe en Corse et en Corse rien ne se fait comme ailleurs, la vengeance se fait « parce qu’elle doit se faire ».
Été 95. Lesia, adolescente de 15 ans, est conduite dans une villa isolée où se planque son père entouré de ses hommes. Le jour de son arrivée, un attentat est perpétré contre un homme politique proche du clan, la guerre commence. Le Royaume est le territoire que chacun se dispute avec acharnement. Le clan est soudé, on dort dans le maquis, à la belle étoile ou dans des maisons prêtées. D’abord irritée d’être privée de vacances et d’être propulsée dans un monde d’adulte, Lesia va peu à peu faire preuve de caractère et apprivoiser ce père absent, peu disert qui ne répond pas aux interrogations de la jeune fille. Ce face à face va adoucir le père et durcir le caractère de la fille, tous deux en cavale. Le monologue du père dans la dernière partie du film est un moment d’anthologie. Il explique à sa fille ce à quoi il renoncé au nom de son honneur et ce à quoi, malgré elle, elle devra renoncer pour être sa fille.
Le film tient dans une réalisation sans fioriture, presque brutale dans les images. Pas d’esthétique dans la violence, des personnages qui pourraient exister dans notre environnement. Le clan s’amincit à force de règlement de compte, la cavale si elle sera initiatrice pour la fille, sonnera le glas pour le père pris dans une spirale depuis ces seize années de vengeance clanique.
Le réalisateur, Julien Colonna, a puisé dans ses souvenirs d’enfance, l’été de ses 10 ans durant lequel il est parti camper avec son père. L’enfant prenait cette escapade pour des vacances ; pour le père, c’était une cavale. Il est le fils de « Jean-Jé », considéré comme le dernier « parrain » de la Corse-du-Sud, décédé en 2006.
Éblouissant, complexe, maîtrisé de bout en bout, sans jamais de répit, d’une grande authenticité, ce film porté par deux comédiens extraordinaires, Chjuvanna Benedetti (Lesia) et Saveriu Santucci (Pierre-Paul), est salué par toute la presse et les cinéphiles. Présenté à Cannes, Le Royaume a reçu un incroyable accueil. Le film casse l’image virile et romanesque du gangster pour dresser un portrait de la traque, de la peur et l’attachement aux liens du sang. On sort de la séance chamboulé.
Christian Dorsan