« -Tu me donneras deux boîtes de balles, a dit Hector des Boués, vu que c’est Maupas qu’a un petit stock d’armurerie dans son épicerie.
-A moi aussi, a dit Raoul.
Du 12 et du 16, ce soir là, Maupas il en a plus vendu que pour l’ouverture de la chasse, c’était comme une folie qui tombait sur nous, la chaleur peut-être, ou bien quelque chose dans l’air qu’on sent à l’approche des guerres, comme des silences de la vie, les gestes quotidiens tout ouatés, prudents, à se garder d’aller trop vite. »
Le polar a souvent la ville comme décor – quand elle n’est pas carrément un personnage central – et certaines études font même le rapprochement : roman policier, policier = police = polis = cité en grec, faisant ainsi du roman policier le roman de la ville et de son organisation. Avec La nuit des grands chiens malades on quitte la ville et on rentre de plein pied dans le polar rural avec le Berry – entre Bourges et Châteauroux, et plus précisément le village de Saint Vincent du Saux – et ses habitants, leurs habitudes, langages et traditions. L’arrivée d’une bande de « hippizes », leurs mômes, leur « dreugue », leur « ouiskie » et d’anciens villageois devenus citadins pas nets – accompagnés de deux ravissantes filles – va embrouiller quelque peu le village et la campagne alentour.
On retrouvera avec plaisir le style et la gouaille d’ADG adaptés ici au parlé « Berrichon ». L’utilisation de la troisième personne du singulier « on » pour narrer l’histoire est assez étrange, on a l’impression que c’est le village du Berry qui raconte (on aura à la fin l’explication de ce système de narration). Dans Notre frère qui êtes odieux… (dont nous parlerons prochainement) ADG alterne entre le « Je » et le « il » de façon habile. Il y a dans La nuit des grands chiens malades des fulgurances de poésie rurale et des réflexions sur la violence et l’organisation de la société ; et une chanson qui revient – We Shall Overcome – comme un hymne.
Étonnant, non ?
Notez au passage que dans le sillage de ce roman il est intéressant de lire Jusqu’à plus soif de Jean Amila.
Emeric Cloche.
(Cette note de lecture est précédemment parue il y a quelques années sur le défunt site PolArtNoir).
ADG, La nuit des grands chiens malades, Série Noire n°1432, Gallimard, 1972.