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Utopiales 2018, jour 3

Utopiales 2018, jour 3

Autrice et traductrice

En ce troisième jour, on se retrouve de nouveau en salle Hypérion dès 10h pour parler de la double casquette d’autrice et traductrice. Les intervenantes Sara Doke, Mélanie Fazi et Luvan sont arrivées à la traduction pour des raisons diverses : à la demande d’éditeurs, par amour de la langue anglaise ou par besoin d’un revenu stable. Les exercices d’écriture et de traduction se complètent bien car ils sont complètement différents : le premier est un processus créatif tandis que le deuxième est une opération mécanique et rationnelle. En utilisant l’ordinateur pour la traduction et le papier-crayon pour l’écriture, Sara Doke les dissocie également par la méthode. Pour ce qui est du travail d’autrice, une préparation minimum est utile, surtout pour du long. Alors que pour la traduction, une lecture préalable par exemple n’est pas nécessaire : traduire est en soi un énorme travail de relecture. Sauf dans le cas où on prend la suite d’un autre traducteur, pour une saga par exemple : la lecture est alors indispensable pour ne pas créer de rupture. Être traductrice a des incidences sur la lecture loisir car les réflexes professionnels sont là. Mélanie Fazi a ainsi du mal à lire certains livres traduits car elle voit l’interprétation du traducteur. Et la lecture de livres en anglais non traduits donne à Luvan des idées de proposition de traduction. Pour toutes les trois, traduire permet de se mettre dans la tête de l’autre, d’apprendre des choses et de se plonger dans des univers très éloignés du leur.
Une pause entre deux conférences, c’est l’occasion idéale pour commencer à lire l’anthologie officielle des Utopiales 2018 avec la participation d’auteurs tels que Kij Johnson, Ursula K. Le Guin, John Scalzi et bien d’autres. Une fois de plus, la journée se termine en salle Dune avec  le visionnage d’un film de la compétition internationale : Assassination Nation de Sam Levinson à 19h30.

Courts-métrages session 3 & 4

Ouverture prometteuse de la troisième session avec The Cure (M. Olenick, USA) qui propose une étrange histoire tournée comme le clip d’une chanson sentimentale du début des années 90. La thématique de la perte, du sexe et de la mort baigne dans une esthétique envoûtante. Emergency Stair (Mae Hwa-park, Corée du Sud) est un des rares courts-métrages d’obédience fantastique, une belle et glaçante métaphore du monde de l’entreprise. Cyborgy (A. Zadlo, Pologne) montre un ordinateur qui plante pendant 8 minutes, c’est un peu long. Voyager (K.H. Rasmussen, Norvège), comme son nom ne l’indique pas vraiment, raconte une invasion dans une ambiance de film d’horreur. C’est bâti sur une idée simple. Irony (R. Jegatheva, Australie) met en garde contre le téléphone portable, les réseaux sociaux et leur utilisation ; le message passe sous forme d’images et d’une poésie rimée qui monte en puissance jusqu’à l’inéluctable conclusion. Information Superhighway (M. Nelson, USA) fait se côtoyer la finance et les crash-tests dans une métaphore impitoyable. Reruns (Rosto, France) nous plonge dans le labyrinthe de souvenirs d’une personne à différents âges de sa vie ; rêves non réalisés, espoirs abandonnés dans une ambiance aqueuse. Une session plutôt dépressive dans ses propos : solitude, exclusion, mort, technologie abrutissante, finance qui nous mène droit dans le mur, rêves d’enfances inassouvis… rien de bien joyeux.

Utopiales 2018, jour 3
The Last Well (F. Filkovic, Croatie / France)

La quatrième session débute par de l’expérimental avec Keep that dream burning (R. Kohlberger, Autriche/Allemagne). Tout en images numériques faites à base de brouillage de points noir et blanc (vous vous souvenez, c’est ce qui arrivait après la mire à la fin des programmes, du temps où il n’y avait que trois chaînes de télé et où la télé se remplissait de parasites qui grouillaient avec un bruit blanc). Nous ne pouvons pas vous parler de RFLKTR (Matt Turner, USA) le fichier a été corrompu ; la salle Dune n’a pas pu profiter de cette première diffusion mondiale qui d’après les premières minutes s’annonce prometteuse. Sog (J. Schwenk, Allemagne) est une animation flippante, méchante et originale qui met en scène des bestioles préhistoriques et une pluie de poissons qui se retrouvent coincés dans les arbres, s’en suit une évolution du monde ; sans concessions. The Last Well (F. Filkovic, Croatie / France) est un véritable petit film de 20 minutes. L’histoire vous embarque dans un monde où l’eau est devenue une denrée rare et recherchée. Un parfum de post-apocalypse plane. Tout fonctionne dans ce film ramassé, tout est montré de manière sobre, sans redites. The Mandalas of the inexplicable reveries of a daemonboy (S. Narayan, Grande Bretagne) porte bien son nom. Il s’agit bien d’une rêverie, et en musique s’il vous plaît. Un clip de dix minutes au service de la musique. C’est comme un tableau qui se déploie et dans lequel on peut se perdre. Expérimental et très accessible. Paleonaut (E. McEver, Japon) raconte une belle histoire d’amour et de voyage dans le temps, comme pour The Last Well, tout fonctionne avec un axe sentimental cette fois, tout fonctionne d’ailleurs peut-être un peu trop bien. La séance se termine par World of Tomorow 2 : le lourd fardeau des pensées des astres (D. Hertzfeldt, USA), le retour d’Emily et d’un réalisateur déjà croisés aux Utopiales (édition 2015) et qui avaient eu le prix du Jury grâce aux aventures d’une petite fille et de son clone. La suite est tout aussi farfelue et désopilante. Cette quatrième session renoue avec l’originalité et la curiosité, chacun des courts possède quelque chose d’attractif.

Le nouvel art d’aimer

Trois intervenantes pour cette table ronde (Rachel Bocher, Catherine Dufour, Mélanie Fazi),  ce qui fera l’objet d’une remarque du public en fin de séance, car force est de constater que pour parler d’amour, on fait intervenir des femmes, mais pour ce qui est des sujets plus « techniques », les femmes ne sont plus conviées. Mais comme le dit Catherine Dufour, c’est moins pire qu’avant. Le nouvel art d’aimer, au delà de l’émancipation des nouveaux genres, semble, aujourd’hui, aller vers des relations où l’affirmation de Soi est au centre des préoccupations. On veut être amoureux et libre ! Être aussi amoureux de son partenaire que de sa liberté : on est passé de l’amour fusionnel à l’amour fissionnel.

Ces nouvelles relations sont étroitement liées à la libération de la femme et aux mouvements féministes qui dénoncent le modèle patriarcal, et réinventent le couple enfermé jusqu’alors dans un modèle unique. On parlera aussi du poids de la société, du regard des autres, des sorcières devenues au fil du temps des vieilles dames à chats, et de ce qui dérange la norme. Mais les normes changent sous l’impulsion des mouvements LGBT et consorts, qui montrent que la normalité n’existe pas.

Ce qui change, aujourd’hui, c’est le choix : le modèle préétabli du couple homme-femme n’est plus le seul même s’il reste dominant et que le chemin est encore à défricher… Grâce à Internet d’autres modèles apparaissent et gagnent en visibilité, donnant d’autres repères, d’autres voies possibles aux jeunes qui ne se retrouvent pas dans le modèle dominant. Internet tend à élargir les possibles, mais chaque progression amène des réactions (manif pour tous, agressions homophobes, etc.). La discussion s’achève sur l’espoir que ces mouvements réactionnaires ne nous fassent pas reculer au bout du compte.

Quelques titres cités lors de la table ronde : Les Amants Etrangers (Philip José Farmer), Ne mords pas le soleil (Tanith Lee), La forme de l’eau (Guillermo del Toro), Her (Spike Jonze).

Prix Julia Verlanger

La soirée s’achève avec la cérémonie du prix Julia Verlanger présidé par Sara Doke et son jury composé de Sylvie Lainé et Marie Juliet. Cette année le lauréat est Patrick K. Dewdney avec L’Enfant de poussière. On trouvait à ses côtés en compétition Les Livres de la Terre fracturée (Nora Jemisin), After Atlas (Emma Newman), Station : La chute (Al Robertson), Le Pouvoir (Naomi Alderman) et Issa Elohim (Laurent Kloetzer). Comme le veut la coutume, la remise se fait en bisous, distribués par deux des précédents lauréats.

Utopiales 2018, jour 3
Vincent Gessler, Patrick K. Dewdney et Karim Berrouka. Photo : Emeric Cloche

Justine Vaillant (autrice et traductrice)
Emeric Cloche (courts-métrages)
Geoffroy Domangeau (Le nouvel art d’aimer)
Caroline de Benedetti (prix Julia Verlanger)