On le sait depuis Henning Mankell et Wallander, la vie privée de l’enquêteur peut occuper plus d’un tiers d’un roman policier. Le héros de L’oiseau qui buvait du lait de Jaroslav Melnik s’appelle Butkus. C’est un flic quinquagénaire ventripotent avec de sérieux problèmes de dents et de toux. Sa femme est partie avec son amie d’enfance… Ses conflits internes et externes (sa hiérarchie, sa traque entêtante) le rendent attachant. Butkus n’a rien d’un héros, c’est un homme qui se soucie des autres.
On sait, depuis Psychose, que les tueurs en série ont un petit problème relationnel avec maman et que leur passé n’est pas tout rose… L’oiseau qui buvait du lait coche les cases du thriller, tout en proposant un méchant nuancé. L’antagoniste fait en sorte de ne pas faire souffrir ses victimes et ne tue pas à chaque fois.
Le roman se déroule en Lituanie, ce pays qui compte trois ou quatre fois moins d’habitants que Londres. La ville de Vilnius et ses parcs, le quartier d’Uzupis, le mont des Trois-Croix, l’Isthme de Courlande, ont leur importance. Ils participent à l’ambiance envoutante de l’histoire. Le voisin russe est présent en filigrane, quelque peu menaçant. Le fantôme de l’URSS plane.
La question du mal est centrale dans le thriller ; Jaroslav Melnik apporte des éclairages psychologiques classiques (passé du tueur) sur la question. Plus finement, il croise la question du mal avec celle de la liberté. Les libertés que la société donne, et celles que l’on s’octroie. Butkus comme l’antagoniste prennent ainsi quelques libertés, mais pas pour les même raisons.
Le livre pose aussi des questions morales, lorsque les protagonistes s’interrogent sur la religion et la croyance. En effet miroir, là où l’antagoniste a choisi une voix et s’y enfonce (s’y perd), le protagoniste s’interroge et tente de comprendre. C’est une des marques des meilleurs thrillers, cet effet miroir et cet affrontement entre le mal et le bien.
À la fin de l’ouvrage, Jaroslav Melnik mentionne Le Silence des agneaux de Thomas Harris. L’oiseau qui buvait du lait s’inscrit effectivement dans sa filiation, ce qui est tout à son honneur.
Emeric Cloche.
Retrouver Jaroslav Melnik sur Fondu Au Noir dans un autre genre littéraire (Science-Fiction / Dystopie) avec Espace Lointain.
Jaroslav Melnik, L’oiseau qui buvait du lait, traduit du russe (Lituanie) par Michèle Kahn pour Actes Sud / actes noir, 2023, 496 pages, 24,50 Euros.