L’un des lieux communs les plus répandus en matière de décor romanesque (et cinématographique) est sans doute la maison de plage . Qu’elle borde l’océan Pacifique, la Baltique ou la Méditerranée, elle est plus qu’un décor : personnage remarquable, par son isolement ou son architecture audacieuse, elle est souvent décrite comme une projection (senti)mentale de ses occupants, parfois illégitimes. Ses portes coulissantes et leurs voilages permettent de jouer avec les perceptions visuelles et sonores : brouillard sur la mer, bruit du vent et des vagues…
La scène de crime qui ouvre La Maison de la Plage commence par une effraction : « La première chose qu’il vit en entrant fut le corps d’Ines, étendu sur le marbre rose. Il avait sonné, frappé, appelé, personne n’avait répondu. Depuis la porte vitrée, il avait aperçu la petite Anna blottie contre le porte-parapluies, l’air égaré, le regard figé. Alors il s’était précipité dans le jardin pour y chercher la plus grosse pierre et s’était jeté comme un fou contre la vitre lui assenant des coups qui l’avaient fait voler en éclats. » La petite Anna, deux ans et demi est restée seule toute la nuit à côté du cadavre. Le meurtrier d’Ines ne sera jamais retrouvé. Vingt sept ans, plus tard, photographe comme sa mère, Anna est sollicitée par le fils du policier chargé de l’enquête. Devenu journaliste, détenteur des archives de son père obsédé par cette affaire, il demande à Anna de l’aider à résoudre ce cold case. L’enquête les ramène fatalement sur les lieux du crime. Anna a vieilli. La maison aussi : « La maison surgit devant leurs yeux comme sur un écran de cinéma. Elle portait les marques des constructions de bord de mer qui ne sont pas habitées toute l’année : poteaux et poutres en métal piqués par la rouille, baies vitrées rendues opaques par le vent salé, sable accumulé sur la façade… »
Les fans de la série des Saisons meurtrières (Rouge abattoir, Vert Palatino, Bleu catacombes, etc..) seront sans doute surpris, voire légèrement frustrés par l’apparente réduction du décor : ce n’est plus Rome toute entière, ni même un quartier, mais une maison sur une plage des environs de Fiumicino. Le nombre de personnages est également très limité, mais chacun doté d’une forte personnalité et dont la profession irrigue l’intrigue : deux photographes, un ouvrier (chantier naval), un psychanalyste, un artiste (tendance Pop Art), un policier. Ce resserrement ne nuit pas à l’intrigue, au contraire, il permet de se focaliser sur l’essentiel : le mystère ! Celui de la passion amoureuse, de la création artistique et surtout de la filiation. Un thriller psychologique certes, mais qui renvoie le genre à ses origines, celui de la tragédie grecque.
Jocelyne Hubert
Gilda Piersanti, La maison de la plage, Le Passage, 2023, 336 p., 19 €