« Ce livre est dédié à tous les gens qui ont souffert de la pandémie sous l’inhumaine politique zéro covid du PCC, soumis à une surveillance et une répression d’Etat dignes du 1984 d’Orwell. La longue liste des victimes inclut mon mentor, le professeur Li Wenjun. »
Avec Amour, meurtre et pandémie Qiu Xiaolong s’interdit ainsi tout retour, même ponctuel, au pays natal. Même si depuis vingt ans l’auteur a pour habitude de dénoncer les dysfonctionnements sociétaux de la Chine contemporaine – ce qui après tout relève des codes du genre – la dernière enquête de son inspecteur Chen Cao (voir focus Chen dans L’Indic n°27) outrepasse les limites de la critique ordinaire. Ouvrage de fiction, son auteur précise dans une note liminaire que « les tragiques incidents consignés dans Le Dossier Wuhan sont réels ». La politique du zéro covid entraîne le gouvernement à prendre des mesures qui dépassent l’imagination : « Beaucoup de ces nouvelles pratiques étaient encore totalement inimaginables à l’époque où George Orwell écrivait son 1984. »
L’action commence, comme la pandémie, à Wuhan, à l’automne 2019. Le virus déferle et le confinement qui ne touchait qu’une ville s’étend à tout le pays et notamment à Shanghai, où l’Inspecteur Chen que sa disgrâce a placé en congé « de convalescence » envisage de se consacrer à la traduction de ses poètes préférés. Mais le Parti qui l’avait exclu des affaires judiciaires le contacte par l’intermédiaire d’un « Gros sous », l’ambigu Hou, et lui demande d’enquêter sur une série de meurtres liés semble-t-il au plus grand hôpital de la ville. Chen obéit, il n’a pas le choix, mais il obtient d’être assisté de sa secrétaire Jin pour laquelle il éprouve des sentiments… partagés !
Est-il utile de préciser que ce dernier roman est le plus poignant de la série ? Parce qu’on sait que les atrocités décrites sont bien réelles, parce que la nostalgie de Chen traversant son quartier de La Poussière Rouge (promis à la démolition) est justifiée, parce que la poésie toujours présente à sa mémoire ne fait qu’ajouter à une tristesse infinie. « Amour, soyons-nous fidèles ! / Car le monde, qui semble / S’étendre devant nous telle une terre de rêves, / Si varié, si beau, si neuf, / Ne possède ni joie, ni amour, ni lumière, / Ni certitude, ni paix, ni réconfort. / Et nous sommes sur une plaine sombre / Balayée d’alarmes confuses de lutte et de fuite, / Où des armées ignorantes s’affrontent la nuit. » Cette citation du poète Matthew Arnold (La plage de Douvres) in Qiu Xialong, Mort d’une héroïne rouge, première enquête du juge Chen, est donc reprise ici, vingt ans plus tard dans un contexte atrocement différent.
Jocelyne Hubert
Qiu Xiaolong, Amour, meurtre et pandémie, Liana Levi, traduit de l’anglais par Françoise Bouillot, 2023, 226 p., 20 €