Dans un futur où l’Humanité voyage vers Mars, une expédition revient sur Terre avec le premier « Homme de Mars ». C’est le point de départ de En terre étrangère de Robert Heinlein. Les amateurs de polar y retrouveront l’esprit déjanté de certains OVNI de la Série Noire.
Que peut produire l’arrivée sur Terre d’un homme venu de Mars ? On imagine la curiosité, la méfiance, l’adoration… Mike est surtout détenu par la « Fédération » au pouvoir, mais il s’enfuit avec l’aide d’une infirmière, Jill, et d’un journaliste, Ben Caxton. Les militaires à leurs trousses, ils trouvent refuge chez Jubal, un avocat retiré du monde qui vit entouré de femmes assistantes et d’hommes à tout faire. Dès lors, la question de la vie et de la survie de Mike occupe le roman. Car l’homme de Mars doit apprendre à parler, à comprendre ses frères terriens, et leur culture.
La propriété est une abstraction hautement sophistiquée, une relation à proprement parler mystique. Dieu sait que nos juristes ont rendu ce mystère compliqué à souhait, mais je n’en ai vraiment compris la subtilité qu’en apprenant le point de vue martien. Les Martiens ne possèdent rien… même pas leurs corps.
À travers ce roman, Robert Heinlein, auteur de Starship Troopers, pose des questions morales, religieuses et philosophiques. Autour de Mike, une communauté se met en place et forme une petite société qui s’interroge. Mike arrive sur Terre avec ses propres codes (et pouvoirs psychiques…). Ainsi « la polarité homme-femme n’existe pas sur Mars. » De grandes discussions ont lieu sur le corps, la police, la mort… Elles sont souvent menées par Jubal, sorte de patriarche bienveillant, malin et altruiste. On rit beaucoup dans En terre étrangère. L’auteur use du burlesque des situations. Mais il parvient aussi à émouvoir.
La vision des femmes sous la plume d’Heinlein peut interroger. Mais attention à ne pas faire une lecture manichéenne de ce roman tout en contrastes. Jill l’infirmière, décrite comme séduisante et maternelle, est intelligente et indépendante. Le libertinage à l’oeuvre chez Jubal n’est pas là que pour le plaisir masculin. Les femmes ont du pouvoir. La liberté de l’individu prime, et pose question face à l’importance du collectif. Et puis, que faire de la religion, alors que Mike se transforme petit à petit en gourou ?
En terre étrangère met en scène une tentative d’utopie, celle entreprise par Mike face au monde qu’il découvre. On le sait, ces projets ont du mal à exister dans nos sociétés. Le roman de Robert Heinlein ne dit pas autre chose.
Caroline de Benedetti
Robert Heinlein, En terre étrangère, Robert Laffont/Ailleurs &Demain, 475 p., 24,50 €