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Le grand Dieu Pan de Arthur Machen

Le grand Dieu Pan de Arthur Machen

« Une nouvelle est un baiser dans le noir avec un inconnu » dit Stephen King. Le grand Dieu Pan de Arthur Machen tire vers la novella, c’est un gros baiser… dans le noir. Le texte a reçu un accueil critique négatif en Angleterre à l’époque. Je vous laisse lire l’introduction de la réédition de 1916 signée par l’auteur et présente dans ce recueil. Pourtant Machen signe un texte horrifique où la terreur se cache dans ce qui n’est pas décrit. Un procédé efficace pour qui a de l’imagination. Pas d’effet horrifique basé sur la description insoutenable. Mais des sous-entendus et des allusions permettant à un sentiment de terreur de s’insinuer.

Toute une époque apparaît avec ses peurs (expérience de savants fous ou prométhéens), ses modes (l’Antiquité, les dieux anciens) et ses effets narratifs (on est proche ici de Stevenson et de Dr Jeckyll & Mister Hyde). Ce monde effrayant (dont Stephen King entrouvrira la porte dans La méthode respiratoire et Revival) apparait aussi dans Le feu intérieur, autre nouvelle qui accompagnait la publication du Grand Dieu Pan sur la même thématique scientifique de recherche et d’expérience neurologique. Le fantastique ici est très proche de la science fiction car il se base – comme dans Frankenstein de Mary Shelley – sur des expériences scientifiques et leurs effets.

Les deux autres nouvelles (Le Cachet Noir et La Poudre blanche) ont pour narrateur une narratrice. L’une assiste un professeur fou, l’autre voit son frère dépérir dans un scénario qui sera de nombreuses fois décliné par Lovecraft. Car lire (ou relire) Le Grand Dieu Pan c’est aussi se plonger dans un texte sans lequel Lovecraft, pour ne citer que lui, ne serait pas Lovecraft.

La dernière nouvelle du recueil, La pyramide de feu, parait pour la première fois dans la revue The Unknown World tenue par Arthur Edward Waite, bien connu des amatrices et des amateurs de tarot. Arthur Machen faisait partie de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée, et les deux initiés sont amis. Cette nouvelle, divisée en cinq courts chapitres, nous permet d’approfondir une des marottes de Machen : le petit peuple… les « autres ». La pyramide de feu s’acoquine aussi avec le genre policier. L’enquête se base sur une série de déductions pastichant Conan Doyle. Elle aboutit à une conclusion sans appel : le petit peuple existe puisqu’il répond à la logique et à la déduction.

Le fantastique, le non-dit, l’indicible, les symboles, les peuples anciens, le pays de Galles, l’autre et la science forment un corpus thématique récurrent, avec la luxure, toujours présente chez Machen, comme une marque de ce qui ne devrait pas être. Ces textes possèdent la saveur d’un fantastique où l’émerveillement des sens et le mystère basculent dans l’épouvante et l’horreur. En ligne de mire des histoires réunies ici : la science et ce qu’elle ne devrait pas découvrir.

Les Éditions Callidor proposent aussi des avant-propos et introductions signées Guillermo del Toro, Henri Martineau, Jorge Luis Borges et S.J. Toschi permettant de rentrer dans l’univers de Machen. Cette édition de luxe en grand format cartonné, illustré par Samuel Araya, conviendra aussi bien aux néophytes qu’aux amateurs. Si vous aimez le fantastique et l’horreur, prévoyez quelques heures de lecture. Cela tombe bien, dehors il ne fait pas beau.

Emeric Cloche

Arthur Machen, Le grand Dieu Pan, Editions Callidor, traduit par Paul Jean Toulet et autres, illustré par Samuel Araya, 315 pages, 35 €