Interview

Rencontre avec Victor del Arbol

Veronica, Victor et Chloé

L’auteur espagnol était invité à la librairie Coiffard à l’occasion de la sortie de son 5e roman Par-delà la pluie. Répondant aux questions de la libraire, Chloé Dolain, il explique qu’il ne sait pas vraiment comment ce roman est né. « Nous faisons des théories sur nos romans après les avoir écrits. » Ce dont il est sûr, c’est d’avoir voulu parler de la mémoire et de l’oubli, de faire un road movie, parcourir l’Espagne du XXe siècle, de traverser l’Europe et d’arriver en Suède. Un point de départ lui est pourtant indispensable : « Je ne peux pas écrire avant d’avoir le titre. Le titre est la première phrase du roman, comme dit Garcia Marquez. »
Ensuite, le hasard donne parfois un petit coup de pouce. Dans le cas de Victor del Arbol, il prend la forme d’une rencontre avec un vieux monsieur, dans un avion. Distingué, portant la moustache, il lui raconte qu’il va voir sa fille, qu’il vient de prendre sa retraite, qu’il travaillait dans une banque et que c’est un enfant de la guerre civile. Au moment d’atterrir, l’homme fait remarquer qu’ils ont volé au-dessus de la pluie. Voilà comment le personnage et le titre se sont offerts à l’auteur.

Les personnages
Revenant sur les personnages, Victor del Arbol confie ne pas avoir eu de sympathie immédiate pour Miguel, cet homme trop sérieux, plein de manies et qui cache son malheur derrière l’ordre. C’est en comprenant son enfance qu’il a pu l’apprécier. Au contraire, Elena était plus facile à aimer, du fait de sa grande liberté, de son cynisme et de son ironie. Il l’imaginait comme une femme de 70 ans, sexy, alcoolique et qui fume des pétards. Elle proteste contre l’infantilisation des gens âgés. Mais avec elle l’auteur a fait un chemin inverse, l’admiration de départ s’est transformée, car au fond Elena n’est pas honnête. Légère en apparence, elle est malheureuse de sa solitude.

Interrogé sur le rapport entre la vieillesse et l’enfance, l’auteur dit que nous devons tout à l’enfance et qu’il faut en préserver les rêves. Elena et Miguel sont les enfants de leurs traumatismes. Le père de Miguel a préféré les grands idéaux à la famille. Quant à Elena elle blâme son père, militaire franquiste déserteur, tombé amoureux d’un homme. Pour l’auteur, les jeunes fuient vers l’avant et les vieux fuient vers l’arrière. Nous vivons à la fois dans le passé, le présent et l’avenir, et en vieillissant le passé prend de plus en plus d’importance.

Le genre
La construction de l’histoire est un préambule à l’écriture, pour l’auteur. Il démarre quand tout est construit. Il aime contrôler ce qui se passe, mais parfois les personnages racontent des choses inattendues. Il explique sa vision du genre, car selon lui il écrit du roman noir. Ses romans viennent des personnages, ils ne sont pas au service de l’histoire, l’histoire est à leur service. Il ne fait pas de roman à énigme, ce n’est pas un jeu intellectuel entre l’auteur et le lecteur. Ce qui est énigmatique, ce sont les personnages. Pour lui, les gens ordinaires sont suffisamment complexes et tout le monde possède une histoire qui peut-être racontée à travers le roman noir. L’auteur doit être attentif et tendre l’oreille aux nuances.

Les femmes
S’il met en scène de nombreux personnages féminins, hauts en couleur, il explique ne pas faire de féminisme. Elena, Natalia, luttent pour quelque chose et pas contre, leur rôle n’est pas pour revendiquer. Selon lui, l’égalité viendra quand on parlera de personnes et non en terme de genre, d’hommes et de femmes. Par-delà la pluie se déroule en partie dans l’Espagne machiste des années 30. Elena et Natalia sont des héroïnes malgré elles. Des choses basiques pour les hommes deviennent des décisions drastiques à prendre pour elles.
Victor del Arbol raconte que sa mère l’a eu à 14 ans, et cinq autres enfants ensuite. Il la voyait prendre le temps d’apprendre à écrire, lire la nuit. Elle lui a expliqué que pour les femmes, c’est toujours plus difficile. Les femmes du sud de l’Espagne étaient habituées à la douleur et la souffrance, pour elles la vie n’était ni dure ni mauvaises, c’était juste la vie.

L’écriture
Interrogé sur sa carrière l’auteur dit qu’il est « devenu policier pour tuer des dragons, qu’il n’en a tué aucun mais qu’aucun ne l’a tué. »
Son envie d’écrire est présente depuis son enfance. Il était un petit voyou de quartier, dans son rôle, mais en rentrant le soir chez lui il faisait tomber le masque et il écrivait. Il se préférait dans la peau de celui qui écrit, et pour lui la littérature l’a sauvé. Elle permet de dire des choses qu’on ne pourrait pas dire autrement, et l’on trouve dans les mots des autres ce que nous n’arrivons pas à exprimer nous-mêmes. Un auteur doit aussi être un bon lecteur, il faut connaître ses classiques. À 14 ans, il était obsédé par Herman Hesse, mais il ne le comprenait pas. Il s’est intéressé aux écrivains maudits, puis aux existentialistes russes, Tchekhov, Maïakovski. Ça a conditionné son écriture. Victor del Arbol était policier quand il a commencé à écrire, on s’attendait à ce qu’il écrive des histoires de policiers. Les journalistes ne lui parlaient jamais de littérature, alors il répondait par Faulkner, Steinbeck, Camus… Il a eu cette étiquette de policier qui lit, jusqu’au jour où il a reçu le prix Nadal (équivalent du Goncourt). Là, il est devenu « l’auteur qui a été policier ».

L’Histoire
S’il s’intéresse à l’Histoire espagnole, dit-il en répondant à Chloé, c’est parce qu’il est Espagnol. L’Histoire permet de comprendre la culture. Sa famille, comme toutes les familles en Espagne, a été touchée par la Guerre Civile. « L’Histoire nous transforme en victimes en même temps qu’en acteurs. » Il revient sur El Valle de los Caidos, décor important de son roman. C’est un lieu où bourreaux et victimes sont mélangés, 30 000 personnes enterrées, représentant la mémoire collective et individuelle du pays. C’est un fossile à quelques kilomètres de Madrid, dont le pays ne sait que faire. Il est régulièrement l’objet de nouveaux projets, et une métaphore de nous-mêmes : que faire de notre mémoire ?

Propos recueillis par Caroline de Benedetti