Jeu de rôle / Les lectures

Le Tertre, Lovecraft et Dungeons & Dragons

Lovecraft et Dungeons & Dragons

Le Jeu de Rôle Dungeons & Dragons s’abreuve à de nombreuses sources littéraires. Gary Gygax, un de ses créateurs, liste Lovecraft parmi les écrivains de l’Appendice N du Dungeon Masters Guide de 1979. Le Tertre (The Mound), une nouvelle signée Zealia Bishop, est un bon exemple de l’influence des pulps américains sur ce jeu. Il s’agit d’une commande écrite en grande partie par Lovecraft, à qui il arrivait de faire le « nègre littéraire » en plus de ses travaux de réécriture et de révision de textes. L’écrivain de Providence ajoute ses éléments fétiches à l’histoire de fantôme qui lui est demandée.

Le Tertre fait partie d’une sorte de trilogie, avec La malédiction de Yig et La Chevelure de la méduse, deux autres histoires signées Bishop. La nouvelle parue dans Weird Tales en 1940 dans une version abrégée croise la science (l’ethnologie) et l’Histoire (le conquistador Francisco Vásquez de Coronadoun personnage historique du XVIe siècle), avec le mythe de Cthulhu. Elle est un bon exemple du côté rationaliste de Lovecraft. Ainsi pour expliquer un des phénomènes étranges un personnage avance une hypothèse en rapport avec les avancées scientifiques de l’époque : « Un point de vue que les modernes peuvent parfaitement partager ; on peut cependant supposer avec quelque vraisemblance que la radio-activité y joue aussi un rôle. »

Le texte décrit une étrange société souterraine industrielle, et l’on se prend à penser aux Indes Noires de Jules Verne mêlé à certains paysages d’Abraham Merritt. Difficile de dire ce que Zealia Bishop apporte à l’histoire tant l’univers est lovecraftien avec ce mélange de fantasy et de science-fiction. Le côté Pulp permet d’établir un pont entre l’univers de Lovecraft et ceux de Donjons & Dragons.

« Mais il sentait qu’un champ de découvertes de richesses et d’aventures devait en vérité se trouver au-delà des couloirs aux étranges sculptures qui s’enfonçaient dans le sein de la terre. »

Le Tertre, Zealia Bishop

L’histoire ne commence pas de manière habituelle, à savoir chez Lovecraft, avec la confession d’un narrateur qui va se suicider ou qui sombre dans la folie. Elle démarre par la fin de la conquête de l’Ouest et l’évocation des premiers habitants du continent amérindien. Les civilisations disparues et leurs trésors, qui intéressent le conquistador du XVIe siècle, ne sont pas sans rappeler les richesses enfouies un peu partout dans Les Royaumes Oubliés de Donjons & Dragons, qui regorgent de vestiges d’anciennes civilisations et de trésors cachés.

« Il n’avait plus besoin de torche à présent, car toute l’atmosphère irradiait une lumière bleuâtre quasi électrique qui vacillait comme celle d’une aurore boréale (…) Un moment après Zamacona sortait du tunnel pour se trouver sur une pente rocheuse et nue qui montait au-dessus de lui jusqu’à un ciel impénétrable, foisonnant de coruscations bleuâtres et descendait vertigineusement au-dessous de lui jusqu’à une plaine apparemment illimitée, ensevelie dans une brume également bleuâtre. »

Le Terte, Zealia Bishop

Sous un tertre amérindien hanté se trouvent des kilomètres de souterrains, et de l’or… s’enfoncer dans le dédale avec l’équipement adéquat (torches, cordes…) c’est découvrir un autre monde, vaste, merveilleux et inquiétant ; on pourra penser à l’Outreterre des Royaumes Oubliés pour les paysages et à l’importance de l’équipement dans Dungeons & Dragons. Autre élément important du jeu les souterrains, un élément de décor cher à Lovecraft (voir Le Festival)…

D’autre part les monstres du bestiaire du plus célèbre des jeux de rôle. Ce n’est pas pour rien que des créatures inventées par Lovecraft se retrouvent dans plusieurs suppléments dont Gods, Demi-Gods & Heroes (1976) ou la première édition de Deities & Demigods (1980). Des créatures comme les Illithids possédent un indéniable côté Cthulhu.

Emeric Cloche

Zealia Bishop, Le Tertre (The Mound) parue dans Weird Tales en 1940. Traduction de Jacques Parsons pour Christian Bourgois, 1975.