Le monde selon Francis Rissin
C’est l’aventure d’un roman d’abord tiré à 100 exemplaires à compte d’auteur, qui parvient chez un éditeur avec un pied en France et un autre en Belgique. Francis Rissin arrive ainsi chez Tusitala et dans la rentrée littéraire. « Francis Rissin » : prononcez ce nom 3 fois, faites le tourner en bouche, lisez 5 pages du roman et le pari est pris que vous ne l’oublierez plus.
L’auteur, c’est Martin Mongin, et parfois les deux noms se télescopent, prouvant que la créature a pris forme et dévoré son maître.
« Le monde n’est pas un roman expérimental. Le monde n’est pas la somme de ce que vous avez laissé sur les réseaux sociaux pendant les dernières vingt quatre heures. La vie de Francis Rissin est un livre qui n’a jamais été écrit, un livre qui n’existe pas, une épopée qui n’a jamais eu lieu. C’est à peine si nous l’avons jouée dans nos têtes. C’est un nom de treize lettres, de quatre syllabes, c’est tout. Derrière, il n’y a rien. »
Derrière, il y a en fait tout. Le nom incarne un homme fantomatique dont les contours se dessinent en onze voix et autant de chapitres. Francis Rissin naît sur des affiches collées en masse sur les murs des villes, pendant que des processions d’admirateurs le suivent sur les routes de France. En ce qui concerne sa mort rien n’est très sûr, on parle de deux tombes différentes… Son existence est certifiée par de très sérieux ouvrages étudiés par une universitaire. L’homme fait même l’objet d’un rapport de la préfecture. Est-ce que cela suffit pour exister. Qui est Francis Rissin ? De quoi Francis Rissin est-il le nom ?
Le lecteur reste suspendu au mystère. Lui aussi, il se prend d’enthousiasme et célèbre l’espoir qui surgit. Le sixième chapitre, au coeur même du dispositif (5 chapitres avant lui, 5 après), vient rebattre les cartes et interroger nos pulsions et notre intelligence.
Francis Rissin est l’histoire de la perturbation du réel, opérée à différentes strates de notre quotidien. En cela, il se rapproche d’un autre premier roman incontournable, le Protocole Gouvernante de Guillaume Lavenant. Il fait partie de ces romans au potentiel vaste, qui peut déborder du cadre, laisser l’empreinte de scènes d’anthologie tout en suscitant une réflexion profonde. Il porte la marque de ce qui est évident et dissimulé, tout en laissant au lecteur la possibilité de s’emparer du mystère. C’est un livre aux visages multiples, comme son personnage. Ludique tout en étant politique. Ou l’inverse. Pour finir, il est tout entier un hommage à la littérature et au genre. A la lecture, difficile de ne pas penser à La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, à La conspiration des ténèbres de Theodore Roszak, aux Falsificateurs d’Antoine Bello ou au Roman Fleuve d’Antoine Piazza. Tout pour plaire.
Caroline de Benedetti
Martin Mongin, Francis Rissin, éditions Tusitala, 2019, 22 €, 616 p.
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