Un corps est retrouvé brûlé dans l’abri de jardin d’une petite maison de banlieue anglaise.
L’enquête qui va en découler s’avère très classique. Quelques crochets narratifs : une première scène ouvre le roman et trouvera son explication bien plus tard dans le récit. Un timing minuté : l’identité du mort tarde à être connue, jusqu’au bon moment. Des enquêteurs liés personnellement à leur affaire : Zigic et Ferreira le duo de flics d’origine étrangère face à des étrangers clandestins. Des faux coupables : il faut dissimuler certains éléments au lecteur pour que l’affaire ne soit pas résolue trop vite. Un tableau de la situation : l’enquête policière permet de découvrir tous les aspects de la petite ville de Peterborough aux murs tagués par l’extrême droite.
Le côte mécanique de ce cahier des charges n’enlève rien à l’attrait du roman, porté par des scènes fortes et un sujet qui ne l’est pas moins. Prenons une petite ville touchée comme bien d’autres par le chômage. Ses pauvres s’étripent entre eux car il est toujours plus aisé de s’en prendre au dernier venu, ou à celui qui semble posséder un peu plus que vous. Cela évite d’aller chercher de puissants responsables, dont bien des gens prendraient d’ailleurs volontiers la place. Au milieu de cet éternel combat, des hommes meurent. En suivant l’identité du cadavre calciné, le Serbe et la Portugaise se retrouvent sur la route des immigrés, cette « armée invisible tellement en marge de la société que ses membres pouvaient disparaître sans que personne s’en inquiète. »
Bienvenue dans l’esclavage moderne. La lutte des classes aurait disparu, dit-on, mais il reste une armée de prolétaires avec juste leurs bras pour bâtir les chantiers de nos sociétés. « Il aurait fallu qu’ils se révoltent » dit l’un, « c’est pas aussi simple que ça » répond l’autre. Quand la vie d’un homme ne vaut pas plus que le béton qui va l’engloutir, la fiction ne fantasme pas la réalité.
« (…) ils seraient conduits par bus au centre de rétention d’Oakington où ils attendraient, quelques jours ou quelques semaines, avec un peu plus de confort que ce à quoi ils avaient eu droit jusqu’à présent, mais pas libres pour autant. Puis une fourgonnette viendrait les chercher pour les amener à l’aéroport de Stansted. Ils seraient embarqués de force dans des avions qui les renverraient chez eux, dans des pays où ils devaient encore de l’argent aux passeurs qui les avaient fait venir jusqu’ici. »
En mettant en scène les enjeux humains Eva Dolan rend sensible l’évidence. Les chemins de la haine dresse un constat sombre de cette Angleterre qui attire (et sur laquelle Bertrand Cantat tape dans une chanson aux paroles peu inspirées). Reste à voir si la France et les autres pays se comportent mieux.
Caroline de Benedetti
Eva Dolan, Les chemins de la haine, Liana Levi, 2018, traduit de l’anglais par Lise Garond, 22 €, 448 p.