Un roman consacré à la (bonne) nourriture se doit d’être deux fois plus savoureux que les autres. Chantal Pelletier a des atouts pour contenter son lecteur.
Première saveur : l’écriture plein de formules déjouant les attentes et permettant de saisir instantanément une image.
« Avec elle, la lumière montait d’un cran. »
Puis il y a cette tonalité légère, née du contraste entre les deux personnages de flic, assez finement amenée pour que le lecteur ne sature pas sous le poids de la grosse ficelle. Anna Janvier aime la bonne chair quand Ferdinand Pierraud préfère manger synthétique devant un écran. Sur leur territoire on trafique du fois gras et autres aliments, interdits depuis que la nourriture se gère avec un permis à points. L’autrice anticipe légèrement un futur dans lequel les enjeux alimentaires soumis aux ressources mais aussi au projet libéral.
Un obèse en mauvaise santé coûte cher. Qu’à cela ne tienne : l’Etat ne lui permet plus de manger ce qu’il veut. C’est ce qu’on appelle une dystopie (une utopie pour d’autres…) Incroyable ? Tant de choses, qu’on ne pensait pas pouvoir arriver, sont déjà là…
Vivons-nous nos derniers festins occidentaux, abreuvés par des aliments en abondance ?
Les locavores sont-ils l’avenir d’une France suffoquant par 40° ?
La Janvier et Pierraud traversent ce nouveau monde pour comprendre la mort d’un cuistot retrouvé pendu aux crochets de la chambre froide d’un resto bien en vue. L’enquête a tout du prétexte à une série de portraits.
Que ferons-nous demain de nos vieux ? Qu’en sera-t-il des terres asséchées et polluées ?
Ces questions se mêlent à l’intrigue parsemée d’odeurs et de goûts, de recettes prêtes à vous envoyer directement derrière les fourneaux. Il est aussi question de tolérance et de choix, à une époque où bien des sujets clivent les groupes.
« Prétexte à haïr toute différence, à affirmer ses certitudes pour les cogner à celles des autres, manger n’était plus qu’une arme de guerre.
Le monde prend fin quand la paix quitte la table et les cuisines, elle n’en doutait pas. »
Caroline de Benedetti
Chantal Pelletier, Nos derniers festins, Série Noire, 2019, 18,50 €, 196 p.