Elle, c’est Chrystal : ravissante jeune femme, intelligente et épanouie. Titulaire d’un master en neurosciences, chercheuse efficace et passionnée. Gibier pour chasseur de têtes averti ? On aurait pu le penser… autrefois, quand le cerveau était une denrée estimable. C’est bien fini ! A l’heure de la culture intensive, de l’élevage de poulets en batterie et des vaches à hublot, seule compte chez l’humain sa couenne. Dans le monde de l’entreprise, on ne chasse plus le talent, on pratique l’équarrissage. La peau, en grande quantité est un produit rentable, inépuisable et indéfiniment remplaçable : bienvenue dans le monde merveilleux où il suffit de traverser la rue pour trouver un travail.
Qu’est-il arrivé à Chrystal ? Celles et ceux qui l’ont connue : amies, amants, famille, collègues, en répondant aux questions d’un enquêteur anonyme, tracent un portrait de la jeune femme à son entrée chez Medecines, « le leader international de l’information médicale, une entreprise recrutant des jeunes gens brillants et surdiplômés ne parvenant pas à trouver leur place sur le marché de l’emploi ». Les témoignages les plus nombreux sont ceux de ses collègues. Ils constituent un tableau terrifiant du monde du travail aujourd’hui : chantage permanent, vexations, injustices, dégradation des conditions de travail, souffrances insoutenables, dont résulte une déshumanisation irréversible, comme en témoigne l’évolution linguistique. Oubliés usines, fabriques et ateliers (lexique de l’activité humaine) voici le temps de l’entreprenariat qui renvoie à un processus, pas à une personne. Dans l’entreprise du XXIe siècle, plus de Directeur du personnel mais un Directeur (plus souvent une directrice) des Ressources Humaines. Ressources traitées de la même manière que les autres outils… à l’obsolescence programmée. Lorsque la machine ne fonctionne plus, inutile de la réparer, on en trouve de nouvelles à bas prix. Loi du marché !
Victor Hugo pensait qu’en ouvrant des écoles on fermerait des prisons, il n’avait pas imaginé nos écoles de commerces qui forment aux méthodes de management criminelles qu’Elisa Vix décrit ici avec un sens du détail qui fait froid dans le dos. Il est d’usage chez les romanciers de se livrer à l’exercice du remerciement en fin d’ouvrage. Ne ratez pas cette page. L’auteur y remercie tous ses employeurs « sans qui ce livre n’aurait pas été possible… » et y fait l’ éloge de la littérature qui lui a permis de faire face « à l’adversité managériale ».
Merci à elle l’écrivain.
Jocelyne Hubert
Elisa Vix, Elle le gibier, Rouergue, 2019, 144 p., 16,50 €