Changer le monde. Un rêve, un fantasme. D’un individu à l’autre le projet ne prend pas les mêmes formes. Plusieurs auteurs ont livré des romans à lire sur le sujet, de Guillaume Lavenant à Ayerdhal en passant par Martin Mongin. Pour n’en citer que trois. Ajoutons une femme à la liste : Pia Petersen.
Laline est hackeuse révolutionnaire la nuit, salariée d’un géant du web le jour. Ce roman place le lecteur au plus près de ses pensées et de son constat sur l’état du monde. La place de la finance, le rôle de la police, la misère… Elle questionne les solutions mises en place par les pouvoirs quels qu’ils soient. « Elle se dit que croire comme elle l’a cru en une humanité plus généreuse est pathétique mais qu’elle revendiquera à tout jamais ce statut de femme pathétique qui croit encore en des fantômes et que sans cet espoir, vivre n’en vaut pas la peine. »
La conscience de Laline s’exprime en même temps que son errance dans un Beverly Hills chaotique. Dans des rues aux allures apocalyptiques, tout ce que la côte Ouest compte de sans-abri s’est retrouvé pour une grande manifestation. Leurs voix prennent vie sous la plume de Pia Petersen, qui met aussi le projecteur sur les habitants de la ville, travailleurs de l’industrie du cinéma et autres habitants effrayés par ce qui ressemble à une procession de zombies. Cette ambiance toute en tension est très bien rendue.
« Salauds. Vous avez déposé des brevets sur les ressources naturelles, sur la vie. Il est temps de payer la note. Les gens sont enfin sortis de leur léthargie pour agir, ils exigent un monde meilleur et ce n’est pas absurde, c’est un grand jour. »
Ni grand jour ni grand soir, le projet de Laline qui a pris corps sur son blog et a rendu la misère visible dans la rue, est celui d’une rente pour tous, prise sur les profits des multinationales. La fin du capitalisme n’est pas au programme, pas plus que la remise en cause de la propriété privée. C’est une révolution raisonnable, une sorte de revenu universel qui manque sacrément d’ambition. D’un point de vue romanesque le propos est répétitif et l’écriture très travaillée prend trop souvent une forme lourde. Le lecteur ressentira alors le roman selon sa réflexion propre quant à ce genre de projet politique, finalement assez gentil.
Est-ce bien ce à quoi songeait Tracy Chapman dans Talkin’ bout a revolution, la chanson qui revient au fil du roman ?
On serait tenter de répondre que non. Sortie en août 1988 la chanson résonne à Wembley pour le concert hommage des 70 ans de Nelson Mandela, sur les ondes des radios tunisiennes lors de la révolution de 2011 et Bernie Sanders la reprend pour sonoriser ses meetings dans le Vermont en 2016. La chanson peut se lire de deux manières différentes : les pauvres vont enfin se révolter et prendre ce qui leur est dû, ou alors les pauvres vont continuer à parler de la révolution et ne jamais la faire. La chanson parle aussi de perdre son temps dans les files d’attente du chômage, de pleurer aux portes des institutions caritatives ou dans l’espoir d’une promotion. Elle semble refuser l’aumône des riches faite aux pauvres et vouloir changer le système en lui-même, ce qui – convenons-en – n’a pas grand chose à voir avec l’instauration d’un revenu universel qui ne serait en définitive qu’un RSA pour tous.
Cette chanson qui est le deuxième single du premier album de Tracy Chapman a fait le tour du monde. La critique musicale parlait alors de la « Dylan noire ». Moins prolifique (huit albums en 30 ans) que Bob Dylan elle vendra tout de même quelques dizaines de millions de disques sans jamais égaler le succès de son premier album.
Caroline de Benedetti et Emeric Cloche.
Pia Petersen, Paradigma, Les Arènes/Equinox, 2019, 384 p. 20 euros
Tracy Chapman, Talkin’ bout a revolution, Elektra / Asylum Records, 1988