Depuis 2015 les éditions du 38 développent un catalogue de littératures de genre, mais aussi de réédition de classiques. La directrice générale Anita Berchenko nous en dit un peu plus, à l’occasion de la sortie du roman de l’américain Jim Nisbet.
Si je ne me trompe pas, les éditions du 38 privilégient le numérique et la vente en ligne. Pourquoi ce choix ?
En effet, nous privilégions le numérique, et nous proposons nos titres au format papier en impression à la demande, en vente en ligne mais aussi en librairie quand des libraires nous offrent la chance de nous aider à faire découvrir nos auteurs. Ce choix est motivé par une longue observation de la chaîne du livre et de ce qui m’a semblé fonctionner à l’envers : une production phénoménale, des tirages en grande quantité pour faire baisser les coûts de fabrication du livre, mais des ventes faibles dans une grande majorité de cas (sauf évidemment pour quelques grands ), ce qui amène à du pilonnage massif. Et à des livres auxquels on laisse très peu de temps pour trouver leur lectorat, les nouvelles sorties chassant régulièrement les autres sur les tables des libraires.
D’un point de vue environnemental, cela heurte mes valeurs, et je trouve aussi que c’est peu respectueux pour les auteurs, auxquels on laisse très peu de chance de se faire un nom. Et d’un point de vue économique, produire d’abord, pour essayer de vendre ensuite, cela m’a semblé extrêmement risqué pour une maison d’édition qui débute, et je voulais développer un modèle qui soit sécurisant, tout en étant en cohérence avec mes convictions environnementales, et mon envie de proposer de la lecture pour tous les budgets.
D’où le numérique à prix correct (le plus proche possible du prix du poche), qui a le grand avantage, en plus de la progression du nombre de lecteurs qui adoptent ce format, de rendre les titres toujours disponibles, sur une très longue durée, et le papier à la demande, ce qui permet une souplesse vraiment précieuse pour contrôler la trésorerie.
Pouvez-vous nous préciser la « philosophie » de votre maison ? Vous publiez à compte d’éditeur ? Quelle sélection faites-vous parmi les auteurs français qui vous sollicitent ?
Nous publions à compte d’éditeur, et notre philosophie est avant tout de proposer de la lecture qui puisse apporter du plaisir, c’est pourquoi nous revendiquons le terme littérature de genre, grand public, ce terme auquel trop souvent on a tendance à associer un certain mépris, comme s’il y avait de la « vraie » littérature (un peu exigeante, que tout le monde ne pourrait pas lire, élitiste en somme), et le reste, qui aurait à peine le droit d’être considéré comme de la littérature.
Notre démarche est d’abord de proposer la lecture comme un moment de détente, d’évasion, tout en amenant les lecteurs à découvrir également des textes qui mènent à des réflexions sur de grands thèmes, sociétaux, environnementaux, ou plus intimes sur nos propres rapports humains.
Nous sélectionnons les auteurs français qui nous sollicitent en ayant cela à l’esprit, et en choisissant les différents titres du catalogue en tâchant de doser les lectures divertissantes, et les lectures plus complexes.
Vous publiez Jim Nisbet, auteur américain bien connu des amateurs de roman noir, avec un livre jamais sorti en France, Le vieux au cœur froid (Old and Cold, 2012). Comment s’est faite cette trouvaille ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce texte ?
C’est avec une grande fierté que nous publions Jim Nisbet, un auteur adorable avec lequel nous avons eu des échanges très sympathiques. C’est grâce à Jean-Yves Cotté, traducteur de Old and cold, et directeur de la collection Domaine étranger au 38, que cela a pu se réaliser. Jean-Yves connaît très bien l’agent américain de Jim Nisbet, qui nous a permis de prendre contact avec Jim, et voilà comment ce magnifique roman a rejoint notre catalogue.
J’ai été séduite à la fois par le choix de l’auteur de s’affranchir des codes du roman noir pour construire un texte qui bouscule le lecteur et malmène le personnage, tout en développant autour de ce personnage une tendresse qu’on sent tout au long du roman. Avec une grande habileté, Jim Nisbet pose un cadre dans lequel on déambule avec le personnage, la ville de San Francisco, les bars, les rues, et nous plonge dans l’intimité de ce vieux qui d’emblée nous est sympathique malgré sa schizophrénie, le tout dans un roman très noir à l’univers violent. C’est une performance d’écriture qu’on ne peut qu’admirer.