La désertification des campagnes a son corollaire : le désert médical. Ceux qu’on nomme ruraux pleurent les kilomètres à parcourir pour consulter loin là-bas, à la ville. Mais à Malabre, la nouvelle docteure, on n’en veut pas. Telle ce bon vieux docteur Knock, Jeanne Ambarel hérite d’une salle d’attente vide. Ainsi commence la Fantaisie villageoise de Marc Trillard.
« Mercredi jour du crémier, les molécules de calcium ; à faire descendre dans les os. Après-demain vendredi jour de la marée, les particules d’iode ; à transfiltrer vers la thyroïde. Et toute l’année les molécules de glucose dans les pots de miel de Pech aux côtés des bocaux de la mortelle gelée de mûres. Les Malabrais ont-ils besoin de quoi que ce soit qui ne leur parvient pas ? Même le carburant, tous les lundis, pour les voitures qui restent dans les garages. On ne va pas cavaler vers les océans ou les alpages laitiers puisque tout nous arrive, même les médecins qu’on n’a pas demandés. »
L’écriture de Marc Trillard est tour à tour descriptive, dialoguée, légère, grave : elle rend compte au plus près de l’ambiance étrange de ce village hors du temps. Jeanne Ambarel a tout de l’archétype de roman noir, celui de l’étranger qui débarque dans la ville pour mieux mettre en lumière ses mystères et ses dysfonctionnements. Malabre, sous la plume de l’auteur, a un air du Village de Night Shyamalan. A-t-on sous les yeux une secte ? Est-on passé dans une quatrième dimension ? Quelle superstition, quel charme pèsent sur ces lieux ?
Jeanne Ambarel (vous l’avez repéré, l’anagrame ?) porte la voix de ce court et réjouissant voyage dans la tradition et la mémoire. Une fantaisie incroyable, légère et dramatique.
Caroline de Benedetti
Marc Trillard, Fantaisie villageoise, Le Mot et le Reste, 2020, 140 p., 15 euros