Parmi les reines de l’Âge d’or du policier anglais, Josephine Tey est un peu oubliée aujourd’hui. Pourtant Alfred Hitchock adapta Jeune et Innocent et La Fille du temps fut élue en 1990 par la British Crime Writers’ Association – tenez-vous bien – meilleur roman policier de tous les temps !
L’inspecteur Grant de Scotland Yard est coincé à l’hôpital, la jambe cassée. Pour se distraire, il exerce ses talents de physionomiste sur des portraits de personnages historiques lorsqu’un visage en particulier lui inspire de la sympathie. Or après vérification, il s’agit du sinistre Richard III, roi d’Angleterre qui aurait fait assassiner ses jeunes neveux pour accéder au trône ! Notre fin limier serait-il pris en flagrant délit de manque de perspicacité ? Préférant en douter, Grant organise sa propre enquête depuis son lit…
« La vérité est la fille du temps. » L’épigraphe du roman explicite le titre. La Fille du temps se propose de corriger ce qui serait, selon Tey, la pire injustice de l’histoire anglaise : la réputation de croquemitaine attribuée à Richard III. Sa biographie ne fut-elle pas rédigée par ceux qui avaient tout intérêt à le discréditer ?
Malgré les redoutables handicaps qu’imposent un tel sujet (un inspecteur immobilisé, une investigation purement documentaire, un cold case vieux de 400 ans) l’écriture pétillante et spirituelle de Josephine Tey rend l’affaire passionnante. L’originalité de l’enquête historique, la finesse de l’humour anglais, une plaidoirie brillante qui emporte la conviction ne sont pas les seuls plaisirs de ce texte superbement intelligent. Il fourmille de pensées subtiles, lucides, parmi lesquelles une remise en question de la fabrique de l’Histoire. Quant à la méthode de l’inspecteur Grant (appliquer aux informations la procédure policière, remonter à leur source, chercher à qui profite la diffusion), comment ne pas la trouver d’actualité tant elle est adaptée à notre époque encombrée de propagande et de « faits alternatifs ». Autant de raisons de découvrir – ou redécouvrir – cet agréable petit polar d’outre-Manche…
Jean-Michel Saubiette
Josephine Tey, La Fille du temps, 10/18, Collection Grands détectives, 2009, traduit de l’anglais par Michel Duchein, 224 p., 7,10 euros,