« En temps normal, tu serais la dernière personne à qui je ferai appel , Arregui. Mais L’Espagne a besoin de toi. J’en restai bouche bée. La dernière fois que j’avais entendu cette phrase, il m’avait fallu parcourir la moitié du pays incognito, poursuivi par les flics et la mafia, en compagnie d’un agneau et d’un vieux roi qui refusait de grandir. »
C’était dans Je reste Roi d’Espagne (2011), et pour qui l’aurait oublié, rappelons que l’agneau (ou brebis ?) s’appelait Rosita, le vieux roi, Juan Carlos et qu’Arregui est un détective privé d’origine basque, comme l’indique son prénom, Txema. La police fait encore une fois appel à lui, parce qu’elle n’ose pas s’investir dans une enquête concernant la mort (suicide ou assassinat ?) d’un homme d’affaires véreux, qui risque d’éclabousser quelques personnalités haut placées.
Le vieux Roi s’ennuie à mourir dans son palais de la Zarzuela et insiste pour assister Arregui dans son enquête. Il a choisi un déguisement qui le fait ressembler (pense-t-il) à Sherlock Holmes mais préfère le whisky à la cocaïne, d’où son surnom de Johnny Bourbon.
On retrouve avec plaisir ce tandem baroque et tout le petit monde de l’Agence Arregui & Legrand Investigations, qui va du terrible Max à la fragile Solitude – nom donné par Txema à une fourmi qu’il nourrit de « morceaux de mie de pain avec de l’eau et du sucre dans les coins du bureau ». Bureau dans lequel surgit au premier chapitre – intitulé Le Dahlia Rouge – une fille aux cheveux verts :
« Depuis des décennies, la mythologie du roman et du film noirs s’emploie à nous convaincre que les blondes sont fatales et que la chevelure des rousses porte la tragédie. Elle se trompe. En réalité, les femmes les plus dangereuses sont celles aux cheveux verts. »
L’enquête que Dahlia confie à l’Agence Arregui & Legrand Investigations n’a en apparence rien de dangereux : retrouver son chat qui a été kidnappé ! De quoi faire ricaner des internautes qui proposent de rebaptiser l’agence MIAOU Investigations. Oui, mais, cette enquête-là n’est pas moins mortifère que celle concernant la mort de l’entrepreneur corrompu.
La dernière affaire de Johnny Bourbon n’a certes pas l’envergure de la précédente, mais en a les qualités : des personnages hauts en couleurs, des situations inattendues, un humour constant, et une mélancolie encore plus affirmée. Revendiquée, même, si l‘on en croit l’épigraphe initiale :
Nous vivons dans l’attente de quelque chose de grandiose et cela nous maintient debout ; Osvaldo Soriano L’Heure sans ombre.
Ce qu’attend Arregui chaque fois qu’il se rend au cimetière où est enterrée Claudia, son amour, c’est que leurs ombres se rejoignent à défaut de leurs corps. Attente vaine : « J’arrive toujours trop tôt ou trop tard aux endroits où personne ne m’attend. »
Jocelyne Hubert
Carlos Salem, La dernière affaire de Johnny Bourbon, Actes Noirs, 2020, traduit de l’espagnol par Judith Vernant