Le tueur en série est une figure vue et re-vue dans le polar. Le point de saturation a été atteint. Dès lors, il faut beaucoup d’habileté pour réutiliser cet archétype sans décevoir. La face nord du coeur de Dolores Redondo y parvient.
Pourtant, ce n’était pas gagné. L’introduction de l’histoire prend son temps. Amaia, la super flic venue d’Espagne pour suivre un stage au FBI, laisse un peu sceptique. Revoilà la profileuse de génie dont l’intelligence éclate aux yeux de tous. Mais à la page 100 le récit prend un virage et quitte Quantico pour La Nouvelle-Orléans pré-ouragan Katrina. Un tueur profite des catastrophes naturelles pour assassiner des familles.
« Devant les rues inondées, l’exode de milliers de personnes vers le centre, la puanteur, la chaleur, les pleurs des enfants dans le silence d’une ville détruite, qui criait depuis trois jours du fond de sa tombe d’eau sans que personne l’entende, elle pensa : j’étais comme cette ville. »
Bien sûr, comme dans tout bon thriller la personnalité de l’enquêtrice compte autant que celle du tueur. Dolores Redondo ne l’oublie pas et livre des bribes du passé d’Amalia, enfant traumatisée par une mère maltraitante. Depuis, son empathie pour les victimes a pris un tour obsessionnel. Dans le contexte de l’ouragan, toutes les souffrances bouillonnent en elle.
Qui dit Louisiane dit bien sûr légendes et vaudou. Un univers familier pour Amalia. Dans son pays basque espagnol ces légendes ont un nom, Gaueko, les esprits de la nuit. Avec une tante qui tire les cartes, la jeune femme ne rejette aucune hypothèse pour expliquer certains phénomènes étranges. Et il y en a. Car la poursuite du tueur surnommé le Compositeur croise une vieille enquête sur l’enlèvement de jeunes filles par un certain Samedi. Amalia se trouve au carrefour de ces histoires et de ces peurs.
« L’histoire de l’humanité est l’histoire de ces peurs. Mais les mythes pour les définir, les nommer et tenter de les contrôler, sont différents. »
La force de La face nord du coeur tient dans ce contexte folklorique doublé d’un décor apocalyptique dans lequel les enquêteurs se démènent. Le 4e roman de l’autrice espagnole donne envie de découvrir ses précédents, pour qui ne les aurait pas lus. Victor del Arbol n’est plus le seul auteur à succès du polar espagnol, et tant mieux !
Caroline de Benedetti
Dolores Redondo, La face nord du coeur, Gallimard/Série Noire, 2021, traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet, 20 euros, 688 p.