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L’Ombre de la louve de Pierre Pelot

L’Ombre de la louve de Pierre Pelot

En matière de roman historique, certains préfèrent les pavés. Mais à ceux qu’enchanteraient un ouvrage court pourvu qu’il ouvre, tel un sésame, les portes d’un ailleurs à ce monde et à ce moi quotidiens, il leur faut redécouvrir L’Ombre de la louve de Pierre Pelot.

Récit paléolithique, peut-être éclipsé depuis par sa série du même genre Sous le vent du monde, l’œuvre avait été donnée il y a vingt ans comme l’une de ses plus marquantes. À l’époque, Pelot n’en avait écrit qu’une cinquantaine…

L’Ombre de la louve constitue le second volet d’un diptyque dont le premier, Le Jour de l’enfant tueur, non réédité, moins abouti, n’est pas nécessaire à sa lecture. Le livre peut être raisonnablement qualifié de polar préhistorique : les faits se déroulent il y a 35000 ans mais la trame joue avec le hard boiled des années 30. Embarqué dans une confuse affaire de meurtres, Ahorn le chasseur ne comprend rien à rien, si ce n’est que les deux sœurs qui se disputent ses faveurs ont un lourd secret à cacher.

Comme dans le roman noir, l’enquête – un clin d’œil au Grand Sommeil ? – est secondaire. Ce qui frappe, c’est d’abord l’audace de l’écrivain – dans cette énigme, la difficulté pour le détective est d’abord de manier l’abstraction, balbutiante – et surtout sa capacité à ancrer un monde naturel, beau et terrible à travers la perception d’une conscience sauvage, juste dégagée de sa gangue, toute imprégnée de pensée magique. Ce que l’on croit évident car conceptualisé ne l’est pas pour Ahorn : les idées, « images derrière les yeux », sont soufflées par des puissances mystérieuses ; le nom porte la force de l’être ; la parole ne devrait qu’être vraie.

Peu importe en fin de compte si les premiers sapiens sapiens voyaient ainsi les choses. Seule compte l’illusion crédible qu’il a pu être de ces « âges farouches » où l’on s’inquiétait de pulsions et d’intuitions merveilleuses, où la frontière entre le moi et le monde était perméable parce que l’être humain n’était pas encore défini à lui-même.

Plus proche de la littérature classique que du polar, ce roman est disponible en epub chez Bragelonne. Si étrange, si beau qu’on aurait préféré le voir dans nos bibliothèques, réédité en version papier.

Jean-Michel Saubiette

En lire plus : le dernier roman de Pierre Pelot, Les jardins d’Eden.

Pierre Pelot, L’Ombre de la louve, Seuil, collection Points policiers, 2000, 187 p. (épuisé) Réédité au format epub, Bragelonne, 2013, 149 p., 2,99 €