On connaît le goût de l’auteur pour l’exercice à contrainte, pratiqué plusieurs fois avec son compère Jean-Bernard Pouy. Résultat particulièrement savoureux dans Zig Zag, dont la contrainte consistait pour chaque auteur a écrire une nouvelle sur les thèmes récurrents de l’autre. Pour Marc Villard, la Bretagne, les libertaires, la vache, le rock and roll, le train, la patate (entre autres). Tandis que Pouy se baladait à Barbès, au milieu d’immigrés, de flics pourris, sur un air de jazz. Quant à leur dernier numéro de duettiste : La Mère noire, on a déjà dit ici tout le bien qu’on en pensait.
On connaît aussi la maîtrise de Marc Villard dans l’art spécifique de la nouvelle (plus d‘une vingtaine de recueils, sans compter les publications isolées dans des magazines ou des ouvrages collectifs). C’est peu dire qu’on s’est jeté allègrement sur L’Homme aux doigts d’or, illustré d’un tableau d’Edward Hopper dans la superbe collection Art Noir de Cohen & Cohen, celle-là même où Villard a publié Jean-Michel de Brooklyn et Sur la route avec Jackson. Il est évident que l’œuvre d’Edward Hopper plus encore que celle de Jean Michel Basquiat et Jackson Pollock se prête à la fiction, à cause du naturalisme du trait, combiné à l’étrangeté des situations (cadrage, éclairage, personnages).
La première nouvelle est un portrait sommaire, disons un « croquis sur le vif » Edward Hopper découvrant, en 1906, Paris, la Seine, les Halles et les prostituées de la rue des Lombards (titre de la nouvelle). La seconde est une fiction reposant sur le tableau Chop Suey (1929) nom du restaurant, à moitié visible de la salle où sont attablés au premier plan deux femmes prenant le thé et au fond de la salle un couple que l’on distingue à peine. Moins connu que d’autres tableaux ayant pour cadres des restaurants ou des bars (le plus connu étant NightHawks), celui-ci est très représentatif du style de Hopper. Mais ce qu’en fait Villard n’a pas grand intérêt. Et c’est tout ! Les sept autres nouvelles composant le recueil mettent en scène Thelonius Monk, Chet Baker, Miles Davis (déjà rencontré dans Si tu vois ma mère) Pancho Villa (croisé dans Juarez), une journaliste lisboète (présente dans Bairro Alto ?),et un curieux kidnapping de bébé par une médiocre poétesse, « La route de Modesto » c’est la dernière – et la meilleure – nouvelle du recueil.
On se demande devant l’hétérogénéité de l’ensemble pourquoi l’éditeur a cru devoir placer l’entreprise sous l’égide d’Edward Hopper… La quatrième de couverture propose une réponse qui ne nous satisfait pas, parce qu’elle peut convenir à n’importe quel recueil de nouvelles. « Les nouvelles qui composent ce recueil parcourent le monde, témoignant de la difficulté d’avancer et du courage de vivre. » Les fidèles y trouveront sans doute leur compte, mais les néophytes pourraient commencer par un autre titre. Pourquoi pas Raser les murs ? (2022, Joelle Losfeld).
Jocelyne Hubert
Marc Villard, L’homme aux doigts d’or, Nouvelles, Cohen&Cohen, 2021, 128 pages, 17 Euros.