Pour celles et ceux qui ont commencé à lire des romans adultes (alors qu’ils n’avaient pas l’âge) avec Simetierre, Le Talisman ou Ça, et qui ont tenu le coup, Stephen King est devenu un compagnon. Sa lecture évoque toujours de vieux souvenirs.
Un an après Billy Summer, fidèle à son rythme de croisière, King publie Conte de fées ; pas tout à fait un conte. Dans la première partie, l’auteur joue avec le fantastique et les sentiments en campant ses personnages principaux : Charlie un adolescent, Radar, une vieille chienne, et Mr. Bowditch, un vieil homme. Un peu de mystère plane puis on plonge dans le vif de l’intrigue, une histoire de portail (comme dans Le Talisman, La tour Sombre ou 22/11/63). Le fantastique bascule alors dans la fantasy, une fantasy de conte de fées. Le côté « portal fantasy » (plonger dans un monde inconnu en passant un portail) aurait pu convoquer Abraham Merritt. Il utilisait ce principe dès 1932 avec Les habitants du mirage.
Le roman est dédié à REH (Robert E. Howard), ERB (Edgar Rice Burroughs) et HPL (Howard Phillips Lovecraft) et s’inscrit dans la filiation de ces trois auteurs plus connu que Abraham Merritt. Des conteurs oui, mais du conte ?.. Pas tout à fait, même si de nombreux éléments (personnages, situations…) sont empruntés à l’imaginaire du genre et que Charlie va vivre une aventure initiatique. La vie des personnages, les lieux sont plus décrits que dans le conte. Chaque chapitre s’ouvre sur une illustration, réalisée par Gabriel Rodriguez et Nicolas Delort, ce qui n’est pas sans rappeler les illustrations des Jules Verne chez Hetzel, ou celles des pulps américains. Le conte de fées est ici à l’américaine (sans être du Walt Disney).
Le livre rend hommage aux imaginaires qui ont nourri l’écrivain. King convoque de nombreuses œuvres littéraires (Ray Bradbury, Edgar Allan Poe…) ou cinématographiques (Le magicien d’Oz, des vieux films passant sur la chaîne américaine TCM) pour décrire le monde dans lequel Charlie voyage. L’ambiance lovecraftienne (avec une utilisation appuyée du vocabulaire de Howard Phillips Lovecraft pour décrire la gigantesque ville de Lilimar) est importante, mais elle est nuancée par de nombreuses autres sources. Ces emprunts sont liés par la façon dont King raconte une histoire. Il a cette manière de vous parler au coin du feu, vous prenant par la main, sans oublier de se retourner de temps en temps pour voir si vous suivez toujours.
L’adolescence, une thématique récurrente, une des marottes de l’auteur dès Carrie, est au rendez-vous. Conte de Fées aborde aussi l’alcoolisme et la position du héros (le fameux prince des contes de fées), ses obligations (son fardeau) et son utilité dans une société à l’agonie. We don’t need another hero… Hé bien si. Mais la véritable héroïne de Conte de Fées c’est l’histoire.
Comme dans tous les contes, il y a une morale : le Bien, le Mal et la frontière entre les deux, la facilité avec laquelle nous pouvons basculer, surtout les « héros ». Car le héros dans cette histoire n’est pas un demi dieu, c’est un individu ordinaire et faillible qui ne peut rien faire sans l’aide des autres. Un gentil King, alors ? Oui. Si Conte de fées comporte quelques passages et remarques sombres, nous sommes loin des méchants King (ceux où Stephen pouvait se permettre de tuer un enfant).
Voilà un roman à lire au sortir de l’enfance. Cet âge où il faut le lire pour chercher, plus tard, dans les histoires à venir, le souvenir de ces lectures intenses. Plongez-vous dans Conte de Fées, laissez la magie opérer. Il vous prendra l’envie de tout cesser pour aller lire ; et à la fin du roman, vous passerez vos doigts sur les pages afin de vérifier qu’elle ne sont pas collées. Ensorcelés, vous ne voudrez rien rater de ce que Stephen a à vous dire.
Emeric Cloche
Stephen King, Conte de fées, Albin Michel, 2023, traduit par Jean Esch, 728 p., 24,90 euros