Ode à une ville, Genèse de la cité de N.K. Jemisin est aussi un excellent roman de littérature populaire. Les références affleurent sans être lourdes, au contraire des gigantesques tentacules qui émergent soudain des trottoirs de la ville. De Lovecraft à Stephen King, l’autrice divertit tout en livrant matière à réflexion.
Les villes ont leurs façades et leurs arrière-cours. Le glamour, et le caché. Dans la littérature, des auteurs ont joué avec l’image de la ville, comme China Miéville dans The City & The City. Revenons à New York. Songez aux noms de ses quartiers les plus connus. Manhattan, le Bronx, Brooklyn… ils sont tous là dans cette histoire, et doublement, puisqu’ils existent dans le corps d’individus bien réels. Bronca dirige une galerie d’art, c’est elle, le Bronx. L’arrondissement vit littéralement en elle. Chaque partie de son corps est un bout de la ville.
« Il existe d’innombrables New York, poursuit-elle. Dans certains, tu as pris à droite ce matin en sortant du métro. Dans d’autres, à gauche. Il y en a où tu es venue bosser à dos de dinosaure. Où tu as déjeuné de délicieuses boulettes de fourmis. Où tu as un job annexe de chanteuse d’opéra. Ce sont des possibilités. Or ce qui est possible arrive bel et bien. D’accord ?
-Comme dans la science-fiction ? »
Les cinq arrondissements qui forment la cité doivent se trouver et s’unir pour affronter le mal qui vient. Il a la forme d’un femme aux étranges tentacules blancs. Elle représente la ville souterraine qui veut occuper sa place à la surface. La lutte s’annonce (et ne se résoudra que dans la suite, Némésis de la cité, sortie en mai 2023).
Avec Genèse de la cité, N.K. Jemisin utilise à merveille la ville, elle la décrit, la raconte et la fait vivre au sens strict du terme. Elle rappelle la sueur et le sang des êtres humains sur laquelle elle a été bâtie. Chaque arrondissement possède son histoire et ses particularités. Ils sont béton et métaphore, miroir de la société d’aujourd’hui, avec ses travers. Et si les réseaux sociaux étaient les vrais monstres tentaculaires ? N. K. Jemisin joue avec le vertige de l’imagination, le réel vacille et on aime ça.
Caroline de Benedetti
N.K. Jemisin, Genèse de la cité, Nouveaux Millénaires, 2021, traduit de l’américain par Michelle Charrier, 22 euros, 384 p., édition poche J’ai Lu.