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Lorraine brûle de Jeanne Rivière

Lorraine brûle de Jeanne Rivière

Si les déclassés américains ont leur littérature, les prolétaires de l’Est de la France ne sont pas en reste. Il faut donc une certaine originalité pour ne pas répéter ce qui a déjà été dit. Lorraine brûle, premier roman de Jeanne Rivière, s’en sort haut la main.

C’est le ton qui attire d’abord l’attention. Narration à la première personne façon journal, style direct. Cohérent avec la personnalité de cette femme de 42 ans qui joue dans des groupes de punk, vit avec son fils et deux hamsters atteints de teigne, et prend le RER de 6h58. Voilà où se trouve la violence, à ses yeux, bien plus que dans la sexualité de ses copines qui pratiquent le BDSM.

Lorraine brûle pour dire une région en feux, comme ceux qu’on allume sous les ponts quand on vit à la rue où lors de concerts sauvages. L’autrice montre des gens hors normes, des femmes libres, des amours non conventionnels, des couples qu’on raconte rarement. Ni héros, ni héroïsation. Ce sont aussi des corps, celui du fils incapable de faire une roulade, celui de la copine malade, celui de la narratrice tous les jours dans les piscines du coin. Ses nages rythment le récit et disent le refuge de l’eau.

« Faut parler des eaux usagées et des descentes d’organes. Tant pis pour la peur d’être monstrueuse et rejetée. Si personne dit rien, si tout le monde fait semblant, nos évidences seront faites de mensonges. »

Lorraine brûle raconte une communauté d’esprits, la vie qui avance simplement, banale et sans intrigue. Des amis et des familles affrontent les morts précoces. La vie ensemble est ce qu’ils ont de plus réconfortant. Pas d’aspiration à côtoyer la bourgeoisie ; on n’est pas chez Nicolas Mathieu. Mais écoutez la narratrice : « je me dis aussi que l’intrigue c’est « comment tenir d’un seul bloc dans une vie aussi éparse ? ». Et c’est comme ça qu’elle nous embarque.

Caroline de Benedetti

Jeanne Rivière, Lorraine brûle, 2025, Gallimard/Sygne, 19 €, 182 p.