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Rien que le noir de William McIlvanney et Ian Rankin

Rien que le noir de William McIlvanney et Ian Rankin

Séance de rattrapage. L’événement nous avait échappé, mais une amie vigilante vient de nous signaler le retour de Laidlaw… trente ans après sa dernière enquête (Etranges Loyautés, 1991). Presque dix ans après la mort de son créateur William McIlvanney. L’action démarre en octobre 1972, cinq ans avant sa première apparition littéraire (Laidlaw, 1977). Un préquel, donc, dont on doit l’achèvement – McIlvanney étant mort avant de l’avoir terminé – à Ian Rankin, qui fit démarrer la carrière de son inspecteur John Rebus à l’époque ou Jack Laidlaw finissait la sienne (L’étrangleur d’Edimbourg, 1987). On ne pouvait rêver meilleur attelage : certes, Glasgow n’est pas Edimbourg, et Rebus ne ressemble guère à Laidlaw, mais Ian Rankin l’affirme (et le prouve) : « McIlvanney, le Parrain du roman noir écossais, m’a fait comprendre que le polar était de la littérature. »

À première vue, le roman a toutes les caractéristiques du roman de procédure (voir enquête dans L’Indic, N° 18) : description du commissariat d’une ville, elle-même personnage essentiel du roman, chez Mc Bain (Isola/NYC) comme chez Qiu Xiaolong (Shanghaï) ou Philip Kerr (Berlin). La ville ici, c’est Glasgow, une ville comme les autres : « Toutes les villes regorgent de crimes. Elles en sont le terreau. Rassemblez suffisamment de personnes en un même endroit et, invariablement, la malveillance se manifestera d’une manière ou d’une autre. Telle est la nature de la bête. [….] Voilà à quoi pensait le commissaire Robert Frederick, chef de la brigade de Glasgow. » Le commissariat de Glasgow ressemble à beaucoup d’autres : tensions à l’intérieur de l’équipe, notamment avec un supérieur hiérarchique, mais pas tous. Forte solidarité entre certains membres d’une équipe hétérogène. Moments de convivialité : au pub, avec séance de fléchettes (on est en Ecosse), ou bien à l‘intérieur du commissariat pour un pot de retraite par exemple : occasion de faire connaissance avec les nouveaux membres de l’équipe, tel Jack Laidlaw, pas encore lieutenant en octobre 1972, que son futur co-équipier, l’inspecteur Lilley interroge : « – Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce métier ? – Le privilège d’étudier de près la nature humaine. Et la retraite à 52 ans. »

Six jours plus tard, lorsque l’enquête sur l’assassinat d’un avocat de la pègre sera terminée, Lilley dira de lui : « C’est un pion isolé dans un monde de production de masse. Pas un flic qui est aussi un homme, mais un homme qui est aussi un flic et emporte ce poids partout où il va. » Enquête rondement menée, à la fois par la police et par les amis de la victime qui aimeraient trouver le coupable avant la police pour se venger. Deux clans s’affrontent, dans la pègre comme dans la police et si le mystère est finalement élucidé par Laidlaw c’est que pour lui : « On sait où un crime finit […] Avec un cadavre, souvent, puis un procès et quelqu’un qui va en prison. Mais où commence-t-il ? » En bref, ce n’est pas le whodunit hitchcockien qui l’intéresse, mais la nature humaine. En témoignent les livres qui trainent sur son bureau avant d’atterrir dans son tiroir : Kierkegaard, Camus, Unamuno, philosophes et poètes. Si le personnage de Jack Laidlaw est unique, c’est que le style de William McIlvanney, formidablement restitué par Ian Rankin, et respecté par la traductrice Fabienne Duvigneau, l’est aussi : « C’était bizarre de le voir chez lui mal à l’aise dans son propre foyer. Peut-être que c’est un homme de la rue, comme Davy Crockett était un homme des bois. Davy pouvait lire tous les signes dans la nature, il y avait vécu tellement longtemps. Ça ne devait pas être un crack côté domestique. Pareil pour Jack avec Glasgow : « il ramène la ville avec lui dans sa maison et c’est trop, elle ne rentre pas dans un salon de taille correcte. »

Ce n’est qu’à la toute fin que le titre s’éclaire (si l’on peut dire !), lors de l’échange entre Laidlaw et son coéquipier Lilley à propos des aveux du/de la/des coupables (ne comptez pas sur nous pour divulgâcher) : « Peu importaient son talent, sa grâce et son assurance, le noir l’attendait. Quoi qu’il arrive, le noir demeure – Heureusement pour nous, sinon on serait au chômage »

Jocelyne Hubert

William McIlvanney et Ian Rankin, Rien que le noir, traduit de l’anglais (Écosse) par Fabienne Duvigneau, éditions Payot & Rivages, 2022, 21 €, 286 p.