Jeff VanderMeer est de ces auteurs qui prennent par la main, mais il vous faudra prendre garde à ne pas lâcher cette main. La lecture d’Absolution demande d’accepter de se perdre et de ne pas tout comprendre. 10 ans après le dernier tome de la trilogie du Rempart Sud inaugurée par Annihilation, l’écrivain américain nous propose de retourner dans la mystérieuse, inexplicable et terrifiante Zone X. Pour vous accompagner dans l’expansion sans fin de cette zone où les règles ne sont pas les mêmes, vous pourrez vous munir d’un enregistrement du compositeur autrichien Franz Schubert, des lieder.
Il existe de nombreux enregistrements du cycle Winterreise, des anciennes interprétations de Fischer-Dieskau (une trentaine de versions avec différents pianistes et à divers âges de sa vie) à celle de Matthias Goerne accompagné par Christoph Eschenbach, ou – pour plus théâtral – celle Stephan Genz & Michel Dalberto. Prenez votre temps, des Winterreise, il y en a pour tous les goûts, du discret au tapageur. L’œuvre est quasiment un passage obligé et tous les chanteurs qui s’y attaquent savent qu’il leur faudra trouver leur style. Pour vous plonger dans le cycle Winterreise commencez par l’enregistrement de Fischer-Dieskau et Barenboim pour Deutsche Grammophon en 1980. C’est une base solide, un classique. Et si vous voulez quelque chose de plus moderne essayez donc, sur le même label, Andrè Schuen avec le pianiste Daniel Heide enregistré en 2024… comme avec VanderMeer, là aussi, votre voyage ne fait que commencer.
Winterreise ou Le Voyage d’hiver est composé en 1827, quelques mois avant la mort de Franz Schubert. Le cycle se décline en 24 lieder (chants en allemand) alternant calme et tempête pour un piano et un baryton. Les textes du poète Wilhelm Müller sont romantiques. L’ensemble du cycle raconte l’errance d’un amoureux qui s’égare et s’enfonce dans l’hiver.
S’égarer voilà le verbe qui convient pour les œuvres dont nous parlons ici. Lire Absolution c’est accepter de se perdre, accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser entraîner, en profondeur, dans l’étrange. S’égarer sans avoir peur d’affleurer le burlesque (bon sang ces lapins carnivores !), s’égarer avec pour horizon ce monde que l’on cherche sans cesse à comprendre, quitte à le simplifier. Simplifier, voilà une chose que ne fait pas Jeff VanderMeer dont le texte s’accroche à la description de sensations, de sentiments ou à la façon d’ouvrir des caméras comme des huitres.
Mon dos peut se déchirer,/ mes pieds se briser,/ mon cœur tempêter et faire rage -/ je tiendrais le coup contre vents et marées. (…) Ce n’est pas pour rien que le Vieux Jim joue les Lieder du Voyage d’Hiver sur le piano du bar de la Côte Oubliée. Ces chansons lui donnent le courage de continuer son enquête et elles résonnent avec ce qu’il est en train de vivre. Les lieder de Schubert sont oniriques et envoutants.
Si vous ne connaissez pas le Rempart Sud, sachez que vous pouvez très bien l’aborder avec Absolution. Dans ce livre qui vient de sortir aux éditions du Diable Vauvert vous allez suivre les expéditions de plusieurs agents de Central (dont le Vieux Gym et son piano), plusieurs agents et plusieurs lignes temporelles différentes (oui comme si tout cela n’était pas déjà assez embrouillé…). Et vous allez vous perdre. Prenez la par n’importe quel bout, la Zone X restera un mystère, un mystère psychotrope et grandissant. Retrouvez l’auteur aux Utopiales 2025.
Emeric Cloche
Jeff VanderMeer, Absolution, Au Diable Vauvert 2025, traduit par Gilles Goullet, 27 €, 544 p.


