L’histoire du polar a eu tendance à oublier les autrices, et pourtant elles sont là. 1950, Mildred Davis était traduite en français dans la Série Blême, qui ne connut qu’une vingtaine de titres. La collection, pendant psychologique de la Série Noire, était orientée suspense et comptait quatre autrices à son catalogue. Mildred Davis passera ensuite à la Série Noire, chez Fleuve Noir, aux Éditions Mondiales del Duca dans la collection Intimité, puis chez Red Label. En 1986, Dark Place est le numéro 10 de la collection Rivages/Noir dirigée par François Guérif. C’est aussi le premier roman écrit par une femme publié dans cette prestigieuse collection.
Dark Place est un thriller (avant cela s’appelait « un suspense »), et du suspense il y en a. Il s’agit de meurtres de petites filles et vous allez suivre de très près les faits et gestes de la meurtrière. C’est aussi du roman psychologique : cette meurtrière est folle et sa folie puise dans les sévices de son enfance. Mais surtout, l’action se passe au sein de familles de la classe moyenne américaine et Mildred Davis expose mine de rien les rapports entre les hommes et les femmes, montrant les rôles assignés par la société.
Même si l’intrigue ne sera pas surprenante pour qui a déjà lu un peu de thriller, force est de constater que Mildred Davis maîtrise le suspense et l’ellipse. La technique employée est celle du « non ne va pas par là ! Le méchant est caché là ! Je le sais je l’ai lu au chapitre d’avant », donnant une longueur d’avance au lecteur et à la lectrice. L’écriture fait appel aux sens, brouillant les perceptions ; ce livre contient par exemple une scène de cuite moins longue que celle de Pylones de Faulkner mais toute aussi puissante. L’angoisse est au rendez-vous avec une unité de lieu ayant pour décor une colline, quelques maisons, la fête d’Halloween et du brouillard. Cette épouvante se meut en horreur lors d’une scène centrale morbide et cruelle.
Emeric Cloche
Mildred Davis, Dark Place, Rivages/Noir, traduit par Gérard de Chergé, 1986. 256 pages, 8,15 €