En 1983 paraissait Meurtres pour mémoire. Le roman de Didier Daeninckx était un des premiers à parler du massacre du 17 octobre 1961, cette soirée où les algériens étaient venus manifester à Paris à l’appel du FLN. Puis il y a eu Francis Zamponi, Maurice Attia, Barouk Salamé, Hervé Le Corre, et plus récemment François Muratet et Frédéric Paulin… La guerre d’Algérie aura mis du temps à arriver dans la fiction française.
Cantaloube met tous les atouts de son côté. Il utilise des personnages emblématiques pour caractériser l’époque, et le lecteur croisera aussi bien Mitterrand et Papon qu’Alain Delon revisité, ou Hitchcock et Céline. Trois personnages font traverser les années au lecteur : 1959, 1960, 1961. Sirius Volkstrom le mercenaire manchot, Luc Blanchard le jeune flic, et Antoine Carrega le truand corse. Si Luc porte une certaine naïveté, Volkstrom et Carrega ont tout du anti-héros. Le parcours du premier le mène à tuer sans cas de conscience. Sa ligne de conduite est simple : « celle qui prolonge le muscle du bras par la matraque ». Se mettre au service du SAC n’est qu’un moyen d’expulser sa violence. Carrega a travaillé comme convoyeur pour la résistance et conduit maintenant une camionnette de Pernod, entre Marseille et Paris, pas juste avec de l’anisette… Ce démarrage rejoint d’ailleurs le roman de Patrick Pécherot, Hével, tissant des ponts à la façon du possible spin off d’une série.
Et voilà, tout ce petit monde va se retrouver autour de l’assassinat d’une famille dans un bel appartement parisien : la mère de bonne famille, le père avocat proche du FLN, le frère et les deux enfants.
« Au vu des clichés sur les murs, l’homme n’avait pas fait la guerre dans le même camp que lui, mais si les Gaullistes jugeait bon de s’acoquiner avec leurs anciens ennemis, c’était leur problème. Ils n’avaient qu’à assumer ouvertement leurs compromissions plutôt que de se
prétendre garants de nobles idéaux. Il n’y avait pas pire opportunistes que ceux qui refusaient d’admettre qu’ils l’étaient. »
Requiem pour une République porte bien son titre. La mise en lumière des coulisses du pouvoir laisse rarement entrevoir de belles choses. Le positionnement politique des hommes de pouvoir n’a pas tant à voir avec les idées que les opportunités, et les moyens se drapent souvent dans une commode raison d’État. Blanchard s’en rendra compte en approchant Mitterrand à l’occasion de son attentat manqué. Si l’extrémité des méthodes est sans doute liée au contexte de la guerre d’Algérie, on peut sans mal transposer les compromissions et magouilles à tout exercice du pouvoir. Il brasse petits et grands, et garder les mains propres et la conscience tranquille s’avère difficile. À cet égard, une scène sur les quais, à la fin du livre, montre la complexité morale des personnages, grande force de ce premier roman. Au registre des regrets on note deux ou trois lourdeurs et une écriture fonctionnelle (« Blanchard repassa en mode inspecteur », cette affreuse expression technologique quotidienne).
Requiem pour une République offre une belle mise en perspective des mensonges et de ce qui a construit notre présent. L’histoire ne se limite pas au champ politique, en placant le nucléaire au coeur du récit. Ajoutons que dans cet univers très masculin, deux histoires d’amour apportent un supplément d’originalité, avec une scène de sexe à épingler dans la liste des réussites. Le deuxième roman de Thomas Cantaloube sera très attendu.
Caroline de Benedetti
Thomas Cantaloube, Requiem pour une République, Gallimard/Série Noire, 2019, 21 €, 544 p.